Dans la nuit du 13 au 14 janvier, je fis un rêve dont il me resta deux images très fortes : un paysage de buissons tout d'abord, ou plutôt de hautes herbes ou de graminées, d'où le danger pouvait sortir à tout instant. Comme dans un champ de maïs, la visibilité y était très réduite. Dans un éclair, il me sembla voir comme un guerrier en faction. Mais c'est comme si la menace était restée sans lendemain. L'autre image forte, sans rapport explicite avec la première, est celle de quatre figures noires disposées autour d'un espace clos. Quatre silhouettes enveloppées dans des drapés sombres, hiératiques, que je dessinais rapidement au matin sur mon cahier bleu, en ajoutant en note qu'elles étaient peut-être nées de ce film poignant vu la veille, Les Innocentes, d'Anne Fontaine.
En effet, lorsque je fis une recherche d'images autour du film, je tombai sur l'affiche, qui coïncidait bien avec mon rêve, à part la coiffe blanche : mes figures étaient complètement noires et le visage était d'ailleurs indistinct.
Ce même jour, je revisionnai le DVD de Saint Jacques La Mecque, le film de Coline Serreau, pour y retrouver le A du rêve de Ramzi et j'eus la grande surprise d'y voir pratiquement la figure noire de mon propre rêve.
Elle apparaît une première fois dans le rêve de son ami Saïd. Qui la poursuit, saute après elle une petite rivière d'un bond surnaturel, et finit par la rejoindre dans le pré, où elle se transforme alors en un cheval noir.
La seconde apparition a lieu dans le second rêve de Ramzi, il y retrouve le A gigantesque qui s'avançait vers lui, mais ce A se mue justement en cette figure noire, qui n'est autre, on le comprend alors, que la mère de Ramzi, dont on apprendra ensuite qu'elle est morte pendant le pèlerinage - nouvelle terrible que Saïd n'apprendra à Ramzi que sur le rivage de l'océan, au bout du parcours.
Incidemment s'intriquaient ma constellation autour du A et les étranges figures de mon rêve. Mais revenons un instant sur l'affiche du film d'Anne Fontaine : les deux actrices polonaises encadrent le LES du titre, elles portent le même prénom, Agata. Trois A. Les deux acteurs français les encadrent à leur tour, Lou de Laâge, avec ses deux a étonnants, et Vincent Macaigne, deux a aussi. Le film est par ailleurs basé sur l'histoire vraie de Madeleine Pauliac (trois a là encore), médecin et résistante française pendant la Seconde Guerre mondiale. C'est le général de Gaulle en personne qui l'avait chargée du rapatriement de plus de 500 000 ressortissants français, bloqués sur les territoires occupés par l’Armée soviétique. Le 26 février 1945, âgée de 33 ans, Madeleine est envoyée en Pologne, où elle est nommée médecin-chef de l’hôpital français de Varsovie, dans un bâtiment désaffecté de la Croix-Rouge.
"Lors de ces missions, Madeleine Pauliac tombe sur un couvent isolé à une trentaine de kilomètres de Varsovie. Là-bas, éloignées de tous, les nonnes ont vécu l’enfer : sous l’occupation nazie puis soviétique, les religieuses ont été violées à plusieurs reprises par des soldats des deux camps. Si une vingtaine ont été tuées, les plus jeunes ont survécu mais certaines sont tombées enceintes et ont besoin de soins médicaux. Le Dr Pauliac leur promet alors l’anonymat et des soins pratiqués en toute clandestinité pour obtenir leur confiance et les aider. Mais Madeleine doit aussi s'occuper des nouveaux-nés, rejetés par leurs mères religieuses. Alors avec l’aide d’Arthur Bliss Lane, ambassadeur des États-Unis et Louis Christians, président de la Croix-Rouge polonaise, elle va mettre au point un plan d’évacuation pour les enfants nés au couvent. Elle va mêler les bébés des religieuses avec les autres orphelins polonais qui sont rapatriés en France. Ainsi, ces enfants seront placés anonymement dans des familles d’accueil françaises. C’est de cet épisode plein de courage et de dévotion dont la réalisatrice Anne Fontaine s’est inspirée pour son film Les Innocentes. Madeleine Pauliac meurt tragiquement dans un accident de voiture, sur une route enneigée près de Varsovie le 13 février 1946." (Cf. Vanity Fair)
Je n'en avais pas terminé pour autant avec les figures noires. Le lendemain, 15 janvier, je regarde le cinquième épisode de la série Lupin, avec Omar Sy, la série française qui cartonne, paraît-il, à l'international. Hier, Gilles Boizeau, des éditions de La Bouinotte, avait raison de déclarer sur Facebook que Lupin aimait le Berry :
"Dans "l’Aiguille creuse", Beautrelet, jeune détective sur les traces de Lupin, passe par Cuzion avant de se rendre chez le notaire d'Eguzon. Il lui explique que "le pays lui plaisait et que, s'il trouvait une demeure plaisante, il s'y installerait volontiers avec ses parents" !Mieux encore, le personnage qui aurait inspiré Lupin à Maurice Leblanc était un véritable gentleman -anarchiste- cambrioleur. Alexandre Jacob, c'était son nom, a fini sa vie dans une petite maison de Reuilly dans l'Indre." *
Il se trouve aussi que j'ai beaucoup écrit, en 2017, à propos de Maurice Leblanc et Arsène Lupin. L'article sur L'Aiguille creuse, du 7 avril 2017, est l'un des plus consultés du site (cinquième position aujourd'hui, cf. la barre latérale droite). Entre autres, j'y mettais en correspondance le château de Crozant, où Leblanc plaçait le château de l'Aiguille, et la fameuse aiguille d'Etretat.
Dans le cinquième épisode donc de la série, l'intrigue se déplace précisément à Etretat, où Lupin/Omar convie son fils et son ex-femme Ludivine Sagnier. Attention, je spolie un chouïa l'affaire : il échappe à une tentative de meurtre dans le train, et se retrouve donc sur le front de mer avec ses deux amours. Tout va bien apparemment, sauf que ce jour est particulier : c'est en effet la fête d'Arsène Lupin (l'événement est fictif) et la plage est remplie de fans arborant la tenue noire et le chapeau haut-de-forme du gentleman-cambrioleur, tenue que Lupin/Omar a offert à son fils. Celui-ci descend, habillé donc en Lupin, sur le rivage tandis qu'Omar essaie de persuader son ex de lui donner une nouvelle chance.
L'aiguille d'Etretat est au fond de la photographie, mais prêtez attention aux deux silhouettes dans le coin droit en bas. Ce sont deux figures noires lupinesques. Soudain, Ludivine Sagnier s'affole de ne plus voir Raoul, leur fils. La recherche angoissée au milieu d'une foule de Lupins tous semblables ne peut être que vaine : Raoul a été enlevé. Et c'est sur ce cliffhanger que s'achève provisoirement la série.
A travers ces figures noires et ces différentes histoires, que ce soit celle des religieuses polonaises, ou celles de Ramzi ou de Lupin, c'est la thème de la perte qui finalement s'impose : perte d'innocence, perte des personnes aimées.
Je voudrais finir par une photo de cette femme admirable qu'était Madeleine Pauliac. Le très beau film d'Anne Fontaine ne montre pas tout ce qu'elle a accompli, souvent au péril de sa vie, pendant et après la guerre.
Madeleine Pauliac, 1931
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