Tristram, janvier 2021, 162 pages, 17 euros
lu pour l'opération Masse Critique de Babelio lien (on choisit un livre dans une liste de nouveautés, on reçoit le livre, on donne son avis sur le livre, on le partage)
On dirait le sud : pins parasol, cigales, piscine, tennis club.
C’est le dix-septième été de Marius, un garçon énigmatique venu d’on ne sait où passer ses vacances avec on ne sait pas très bien qui (au début).
La tension tranquille qui sous-tend cet excellent premier roman de Thomas André nourrit sa singularité : L’Avantage n’a rien (ou pas que) d’un thriller psychologique à la Patricia Highsmith, ou Joncour (période U.V.), mais rien non plus d’un guide de préparation mentale pour sportifs !
Le narrateur est un jeune joueur de tennis amateur engagé dans un tournoi de plage.
Pas assez « dans le court », il perd au premier tour contre un adulte qui joue trop vite pour lui.
Ça ne l’embête pas plus que ça : il va pouvoir traîner au bord de la piscine de ses amis et les suivre dans leurs virées nocturnes bien arrosées.
Pourtant quand la juge-arbitre lui impose de remplacer un joueur forfait au deuxième tour, il n’ose pas refuser.
La dramaturgie exceptionnelle de L’Avantage réside d’abord dans la succession des matchs de Marius, dans sa progression dans le tournoi, tranquille, méthodique et concentré, comme détaché. Un point, un jeu, un set, un match, un après l’autre. Six ou sept confrontations... quand on aime, on ne compte pas ; plus, ce serait de la gourmandise !
« On est comme ça, nous les joueurs de tennis, on croit toujours que nos souvenirs de matchs intéressent les gens. »
Je vous livre en temps presque réel (au moment où je rédige/tape cette note) ma perplexité à la relecture de la citation supra relevée il y a quelques jours.
Je m’aperçois en la recopiant, qu’elle est écrite au présent alors que la narration du roman est presque toute entière à la première personne du passé composé à l’exception des dialogues peu nombreux.
Après l’avoir appréciée pour son réalisme burlesque à la première lecture, aujourd’hui je la trouve intrigante : elle ne sonne pas comme la réflexion que se serait faite un Marius de dix-sept ans...
Il y aurait-il un autre Marius hors texte, adulte, qui se revoit jouer, qui raconte, écrit peut-être ? mais à qui ? et quand ?
Pas à son père à en tout cas ; il sait déjà qu’il lui dira en le retrouvant « qu’il n’y a rien à raconter ».
Un père absent auquel il a peu pensé pendant ce séjour, sauf pour essayer de ne pas oublier de lui envoyer une carte postale, à Lens.
On saura à peine que la famille chez qui il a été invité à passer l'été le connait depuis l'enfance, quand les garçons des deux foyers s'entraînaient ensemble, mais que l'année précédente Marius n'était pas venu... que son père a quitté son travail pour un poste moins exigeant physiquement, sans précision. Rien sur sa mère.
C'est tout.
Son copain Cédric est plus âgé, hâbleur et casse-cou, mais il a une sœur en première année de fac qui ne laisse pas Marius insensible. Quant aux parents-hôtes, ils sont d'un grand laxisme sur les horaires et d'une discrétion tout à fait enviable !
Tout à coup j’ai l’air d’en savoir long sur Marius, contrairement à ce que je disais au début, mais je me vante.
L’auteur n’est vraiment pas prodigue en indices sur l’histoire de son personnage principal avant cet été-là.
C’est ce qui fait le charme étrange de L'Avantage, ce qui fait naître et excite la curiosité, l'envie de deviner, jusqu'à la dernière balle jouée.
Je sais aussi que si Marius n’a pas trop le sens de l’orientation, il a celui, très développé de l’observation : l’insecte qui se pose sur son banc au changement de côté, les fourmis sur la margelle de la piscine, la lente réapparition de la saucisse de hot-dog dans l'eau bouillante !
Il possède également un sens aigu de l'interprétation des comportements de ses adversaires sur le terrain, un peu moins de ceux des filles, mais il apprend.
Marius est touchant dans sa solitude et sa recherche de lui-même (il n'y a encore que sur le court qu'il se connaisse un peu), ne faisant confiance à personne, se méfiant de ceux qui, même avec tact, cherchent à l'aider : une juge-arbitre bourrue mais maternelle, un spectateur fidèle et discret qui suit tous ses matchs.
Comme son héros, Thomas André n’en fait jamais trop. Juste ce qu'il faut, mais à fond.
Cette apparente retenue dans la construction comme dans l’écriture crée une atmosphère singulière très excitante qu'on a envie de retrouver au plus vite dans un second roman.
>> extrait
L'Avantage Thomas André tous les livres sur Babelio.com“ Sandra est venue à ma rencontre. Bah alors, qu'est-ce que tu fous ? elle a dit. Derrière elle il y avait un grand type tout maigre et c'était mon adversaire. Sur le terrain, il balançait des coups droits dans tous les sens et moi, pris au dépourvu, je jouais beaucoup trop court pour l'inquiéter. J'étais encore tout gluant de sommeil et il fallait courir partout sur le terrain. Ça faisait déjà 2-0 pour lui. Il jouait bien, cette fois j'allais enfin me faire battre. Je me suis quand même concentré pour mettre quelques jeux. Je suis revenu à 2-1. Il faisait les points gagnants et les fautes, et moi, de la figuration. Bizarrement, ma gueule de bois n'était pas si terrible. C'était presque agréable. Quand j'étais sur la balle, je tentais un passing, sinon tant pis. Mais il n'est pas parvenu à se détacher et même à 4-4, j'ai pris l'avantage. Je suis monté à contre-temps, j'ai serré le jeu en coup droit, et j'ai mis mon service blanc. À 5-4, 30/A, il a fait une double faute et je n'ai pas réalisé tout de suite que j'avais balle de set. J'ai retourné dans le court, et il a fait une nouvelle faute.
J'étais un peu gêné en me rasseyant sur mon banc. J'avais gagné le premier set sans le faire exprès. ”
Merci Babelio, merci Tristram, et merci Thomas André qui a eu la gentillesse de parapher de son T (celui des carrés de service ? ou de Tristram ?) le communiqué qui accompagnait ce livre que j'aurai un immense plaisir à garder et à prêter à mes ami.e.s, joueurs de tennis ou non.