Je poursuis cette réflexion funambulesque autour de l'hyperrêve : rien n'est anticipé ou presque, tout s'invente à mesure, je ne sais au départ de chaque chronique où celle-ci va m'emmener. Je me propose juste aujourd'hui de revenir plus avant dans ce petit livre dont j'ai dit qu'il constituait comme une médiation : Une autobiographie allemande (Bourgois, 2016), issu d'un entretien en forme de lettres croisées entre Hélène Cixous et Cécile Wajsbrot. Livre dont il faut noter, je pense, la sobriété absolue de la couverture, qui laisse place dans le cerveau du lecteur à toutes les images dont le texte est empli.
Je l'avais lu à sa parution en 2016, et je l'ai donc relu hier et ce matin, et j'ai placé ici et là quelques signets bleus pour marquer des phrases entrant en résonance avec le motif de l'hyperrêve. Ainsi, à la question de CW, page 33, comment avez-vous ressenti la chute du Mur ? HC répond tout d'abord qu'elle a eu "la chance, ô combien fatidique !, d'avoir touché, connu, éprouvé, le Mur, le mur des murs, le muroir - miroir de tous les murs qui ceinturent mes vies et donc ma pensée." Et elle finit en déclarant qu'il y a toujours du mur : "En Allemagne on l'avait transposé en simulacre réel. Mais chaque État monte des murs. On peut ne pas les voir. Mais il suffit d'étendre les bras de l'âme pour les toucher des doigts. Évidemment le jour où le Mur a eu l'air de tomber je me suis réjouie : il n'y aurait plus ces morts jetés en pâture au mur. / Le Mur, lui, est allé se faire voir ailleurs./ La littérature : elle longe les murs à l'infini, pour tenter d'atteindre la fente par où se glisser de l'autre côté. Se tient dans la zone-frontière." Et dans la suite de cette page 34, c'est Kafka qui est évoqué, dont HC dit qu'il fut par elle aussi écouté, fréquenté que Montaigne.
Ces lignes me renvoyèrent aussitôt à ce passage du chapitre 2 de L'hyperrêve de MAM, où Julius Corentin Acquefacques (dont on sait qu'il désigne Kafka à l'envers) et son voisin Hilarion décident d'aller voir leur ami le professeur Igor Ouffe. Miniaturisés, ils se glissent le long des murs de la ville, qu'arpente une foule de piétons au ralenti, avant de pénétrer par la fente d'un soupirail dans le sous-sol exigu où loge Igor.
C'est en cherchant à en savoir plus sur ce personnage de Ouffe que je découvre, dans un album plus ancien paru en 2000, Mémoire morte (que je ne connais pas), à travers l'étude qu'en donne Clément Lemoine dans NeuvièmeArt2.0, que "le récit se déroule dans une Cité dystopique, dirigée par une administration tatillonne et peuplée d’individus anonymes. La première rupture avec la monotonie, ce sont des murs de briques qui apparaissent au petit matin au beau milieu des rues. Attribués à des factions rivales, protégés par une réglementation inepte, les murs se multiplient au fil des jours et envahissent rapidement le paysage urbain."[C'est moi qui souligne] Le personnage principal se nomme Firmin Houffe, obscur fonctionnaire du Cadastre, dont Lemoine écrit qu'il fait référence à Igor Ouffe, personnage secondaire de L’Origine. Premier tome de la série des aventures d'Acquefacques.
Une épidémie d'amnésie ayant paralysé le langage des habitants de la ville, Houffe se rend en dernier recours auprès de Rom, l’ordinateur central qui gère les tâches quotidiennes de toute la population : "Rom revendique alors la responsabilité de l’épidémie d’amnésie : les hommes, en lui déléguant toute la mémoire vive, ont perdu la capacité de s’exprimer. Par contre, il attribue la naissance des murs à la résistance de la société humaine. « Ces murs, ce sont vos murs. C’est peut-être la seule chose qui vous reste maintenant...»"
La littérature : elle longe les murs à l'infini, dit Hélène Cixous. L'écho est bien sûr étonnant avec la bande dessinée de MAM, qui est tout entière consacrée à l'infini. «Il est difficile de trouver rapidement les germes de L'Hyperrêve, explique le dessinateur. Je pense que cela remonte à mes lectures scientifiques. Dès lors que l'on se pose des questions, on croise le chemin de l'infini."
Hyperrêve, page 21
Cette attraction de l'infini ne date pas d'hier, on la retrouve en effet dès 2000, dans Mémoire morte, comme en témoignent ces deux cases :
Demain, un autre jeu de miroir/muroir entre les deux faces de l'hyperrêve.
Pour finir, parce que les fenêtres de MAM n'ouvrent que sur l'enfermement, une vue de ma propre fenêtre pour conjurer la noirceur en ouvrant, paradoxe ?, sur la douce nuit qui marche :