D’énormes flocons de neige se sont emparé du jardin, tranquillement, puisqu’ils savaient que pour le faire, ils avaient devant eux tout le temps qu’ils voulaient, l’enveloppant d’un manteau blanc et d’un silence assourdissant. Quelle beauté que cette opaline qui redonne à la nature sa virginité, ce tapis immaculé où je n’ose encore poser un pied de crainte de l’abimer. Quelle joie enfantine en regardant cette douce floche ouatée se déposer sur les branches, quel pouvoir étrange à l’hiver d’arrondir les angles et de dissimuler le laid…
Quelle jolie surprise que cette impavide averse au lever des volets sur une autre matinée ! Quel petit bonheur que toute cette lumière tombée des nuages que nos yeux ne peuvent supporter qu’en clignant frileusement !
Je m’amuse à parier sur le temps que mettra à s’écrouler ce ruban épais en équilibre sur le bord des branchages, les frondaisons se haussent sur la pointe des pieds, mais las, bientôt disparaissent sous la belle poudreuse et prennent des poses d’équilibristes à vouloir à tous prix résister à l’appel de la pesanteur… Nul chat, pas un oiseau, comme moi ils se terrent bien au chaud. Tant vont les flocons à l’ouvrage que mon jardin n’est plus qu’un édredon blanc dont même le vent n’ose souffler sur une plume !
Je vois déjà dans le potager des voisins un bonhomme rondelet s’emparer d’un balai, comme s’il suffisait de s’en armer pour empêcher les gamins de le déguiser davantage, voilà qu’une carotte lui sert de nez et qu’une écharpe trouée fait mine de le réchauffer ! Point de cris cependant, ils ont dû profiter du déjeuner pour faire rouler l’épais tapis en rondouillardes boules enfarinées et les installer comme vous voyez. Bon bougre, le guignol au long nez se tient tout debout sans broncher, il attendra stoïque , le retour des enfants qui ne le priveront ni de rondes ni de quolibets, il sait bien que son heure viendra, où seule une flaque sera son épitaphe, avec, peut-être si on ne l’a pas grignoté, une carotte, et un balai abandonné au grès des jeux innocents…