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De la Famille et des Solitaires

Publié le 15 février 2021 par Les Alluvions.com

Ces jours-ci, je reçois dans ma boîte aux lettres le quotidien La Croix. Je n'ai rien demandé mais j'attends l'offre d'abonnement mirobolante qui s'ensuivra. En tout cas, l'édition d'aujourd'hui m'a particulièrement intéressé. A la dernière page, la chronique de Guillaume de Fonclare a ricoché sur l'article publié hier juste avant minuit. On va voir comment.

De la Famille et des Solitaires

Guillaume de Fonclare raconte comment deux à trois mille personnes, rassemblées dans un groupe qui se nomme "La Famille", attendent l'apocalypse avec la foi du charbonnier. Mariages endogamiques, repli radical sur les huit familles qui composent le cercle. Pour moi qui traque les émergences du secret, je suis servi : " Refermé sur soi, le groupe n'accepte aucune dissidence. On demeure dans le secret de la naissance à la mort.

Le chroniqueur affirme - et c'est sur ce point que je parle de ricochet - que c'est en plein XVIIe siècle qu'il faut chercher les racines du mouvement, à l'abbaye de Port-Royal.

De la Famille et des Solitaires

Je ne suis pas certain que les défenseurs du jansénisme verraient d'un bon œil cette étiologie de la "Famille" actuelle : la rigueur intellectuelle des Solitaires (c'est ainsi qu'on appelait ceux qui avaient  choisi de vivre une vie retirée et humble à Port-Royal des Champs) est sans doute bien éloignée de celle qui doit régner dans cette secte. On pourra écouter à ce sujet une intervention de François Sureau sur France-Culture, Le souvenir des solitaires, où il fait redécouvrir un des esprits les plus brillants de son temps, Antoine Le Maistre de Sacy,  figure quasi oubliée qui, par le talent de ses plaidoiries, surpassa ses pairs si bien que Richelieu voulut en faire un ministre : "Proposition à laquelle il oppose un franc refus. François Sureau nous raconte comment cet homme que son génie distinguait en est venu à renoncer à tout, à s’isoler, à ne presque plus parler. Bref, à se cloîtrer, en refusant bien entendu les honneurs qu’auraient pu lui conférer le titre d’évêque." Il l'évoque bien sûr longuement dans L'or du temps.

Antoine Le Maistre fut également pédagogue, notamment auprès de Racine, qui fréquenta les Petites Ecoles, nom donné au système d'enseignement créé par Jean Duvergnier de Haurane, abbé de Saint-Cyran, et qui fonctionna de 1637 à 1660. La notice wikipédienne ne tarit pas d'éloges :

" La qualité intellectuelle des professeurs a fait des Petites écoles de Port-Royal un lieu d'excellence intellectuelle, mais aussi un lieu d'expérimentation pédagogique et de normalisation de la langue. Les professeurs élaborent une nouvelle manière d'enseigner, fondée sur la langue française et non plus sur le latin, ce qui est révolutionnaire pour l'époque. Ils se démarquent ainsi du système d'enseignement des Jésuites, qui font la majeure partie de leur enseignement en latin, même lorsque les jeunes élèves ne le maîtrisent pas.

Les professeurs prennent en charge des groupes restreints (jamais plus de 25 enfants) et instaurent une relation maître-élève très stricte mais en même temps basée sur la confiance et l'admiration. La discipline est sévère mais les nombreuses instructions pédagogiques témoignent d'un réel souci de la psychologie (même si le terme est anachronique) de l'enfant."

Les professeurs des Petites Écoles  étaient parmi les plus grands intellectuels de leur temps : parmi eux, Blaise Pascal, Claude Lancelot (auteur de la Grammaire de Port-Royal), Jean Hamon et Pierre Nicole, que Pascal Quignard* évoque dans le premier de ses Petits Traités :

"J'aimais Pierre Nicole. Je venais de le découvrir. Il a écrit des essais qui ont la même précision que les préfaces que composa Racine. Ils s'aimaient. Il a été son professeur de latin. L'histoire n'a pas retenu son nom mais la mémoire additionne, chez les vivants, la haine et la peur ; chez les régents de collège, la fainéantise et la perte de la culture ; chez les ministres de la police, de la religion, de la guerre, elle additionne interdiction, censure, bûcher et trophées de victoire." (p. 17)

De la Famille et des Solitaires

Pierre Nicole (1625 - 1695)


Alors, oui, n'y a-t-il pas quelque injustice à rattacher ces pauvres sectateurs de "La Famille" à quelques-uns des plus grands esprits du Grand Siècle ?

Mais c'est à ce prix, peut-être, que l'Attracteur étrange continue de suivre le fil de Port-Royal.

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* Pascal Quignard est aussi l'auteur d'un texte sur Port-Royal, Sur l'idée d'une communauté de solitaires (Arléa, 2015) : « Le propre de Port-Royal pour moi, c’est l’invention passionnante – même si elle est difficilement concevable pour l’esprit – d’une communauté de solitaires ». Comment arrive t-il à faire cohabiter ces mots contradictoires communauté et solitaires ? Les solitaires étaient les « hommes de la société civile, aristocrates ou riches bourgeois, qui (…) quittaient la cour pour franchir vingt kilomètres et se retrouver dans un bois. Ils ne se guidaient sur aucune règle extérieure, n’obéissaient à personne, jaloux seulement de leur retrait du monde. » 

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