Le débat du jeudi 11 février entre M. Darmanin, pour la majorité présidentielle et Mme le Pen candidate RN aux élections présidentielles ne peut pas être analysé comme une simple anecdote de la vie politique française.
L'empoisonnement de la démocratie française
Par Maxime Tandonnet
En effet, par un formidable contrepied historique, le contradicteur de Mme le Pen, au nom de la majorité présidentielle, accordait pour la première fois un véritable label d'honorabilité à la présidente de ce parti en lui reprochant sa " mollesse " et son manque de " dureté" , des formules enterrant l'image d'extrémisme qui s'attache à ce parti depuis 50 ans. L'objectif évident de cette étonnante pirouette: consacrer Mme le Pen comme la principale opposante officielle du président Macron, candidat à sa réélection. En effet face à cette dernière, l'équipe dirigeante au pouvoir mise - sans doute à juste titre - sur le fait qu'une majorité de Français choisira in fine presque à coup sûr la stabilité contre le risque de l'aventure et du chaos.
La candidate du RN a de son côté saisi la main tendue. Echange de bons procédés: " J'ai lu votre livre [sur l'islamisme] avec beaucoup d'attention. Et à part quelques incohérences, j'aurais pu le signer, ce livre ". Mme le Pen, à la stupéfaction générale, accordait ainsi à l'ouvrage d'un membre imminent de la majorité présidentielle un brevet de fermeté. Cet échange exprimait ainsi une alliance objective entre lepénisme et macronisme, les formations politiques du " nouveau monde ", contre celles de " l'ancien monde " et les catégories droite/gauche. Les deux courants consacraient ainsi une sorte de " Yalta* " de la politique française . M. Darmanin, se permettait même de donner des conseils à Mme le Pen pour le débat présidentiel, anticipant sur le second tour considéré comme inéluctable le Pen/ Macron en vue de la réélection probable de ce dernier.
Au-delà d'une indéniable habileté électorale, habileté partagée, cette convergence entre les deux courants, lepénisme et macronisme, n'est pas sans fondements objectifs. Tous deux sont nés d'un reniement (l'ancien FN d'une part, le parti socialiste de l'autre). Tous deux ont développé un culte de la personnalité exacerbé excédant tout ce que la Ve République a connu en termes de personnalisation du pouvoir. Tous deux doivent leur succès au goût des provocations et des coups médiatiques. Tous deux réhabilitent des postures idéologiques exacerbées qui écrasent le monde des réalités (" mondialisme post frontières " contre " repli nationaliste ").
Cette alliance objective porte à son paroxysme la tragédie démocratique française. Un abîme vertigineux s'est creusé entre la confiscation de la politique médiatique nationale par le duo ainsi constitué et la réalité politique de la France. Le résultat national des dernières élections municipales de 2020, en termes de rapports de forces politiques, souligne que dans ses profondeurs, le pays rejette catégoriquement l'emprise de ce nouveau cartel. Huit mois après le scrutin, les chiffres viennent d'être rendu publics, révélés par le Figaro grâce à la détermination de M. le député Olivier Marleix. Ils sont absolument sidérants au regard du rabâche sondagier et - même si le contexte local des municipales doit être pris en compte - rebattent les cartes d'un jeu que certains présentent comme définitivement plié :
2,65% à l'extrême gauche;
29, 63% à la gauche;
4,38% aux Verts;
15,98% au Centre (dont 2,22% à LREM, le parti du chef de l'Etat);
33, 71% à la droite;
3,33% à l'extrême droite (dont RN).
Une droite majoritaire, une gauche puissante, LREM et RN ultra-minoritaires dans les urnes: le triomphe du " nouveau monde " ne serait-il qu'une gigantesque mystification? Les deux courants qui prétendent au monopole de la représentativité politique n'atteignent même pas à eux deux 6% des suffrages nationaux! Deux mondes politiques parallèles semblent ainsi coexister. Le " nouveau " où s'ébat, impérial, le tandem lepénisme/macronisme, combine les apparitions médiatiques, les jeux de posture, le matraquage télévisuel et les manipulations sondagières. Le second, celui de la politique traditionnelle sur un axe droite/gauche subsiste, presque intact, dans les profondeurs de la vie quotidienne et des réalités de terrain. Lequel des deux l'emportera à la fin? Seuls, le niveau de lucidité et la force de caractère du peuple français en décideront. Il en va tout simplement de l'avenir de la démocratie française.
Maxime Tandonnet
Ancien conseiller à la Présidence de la République sous Sarkozy, auteur de plusieurs essais, passionné d'histoire...
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* En référence au sommet de Yalta de février 1945, consacrant le partage de l'Europe en zones d'influence.
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