Raymond Farina, La Gloire des poussières par Sabine Dewulf

Publié le 25 février 2021 par Angèle Paoli

C e livre est le second que Raymond Farina a composé après le silence, long d'une dizaine d'années, qui suivit la publication d' Éclats de vivre, aux éditions Dumerchez, en 2006. Cependant, l'unité de l'œuvre est frappante, au point que son ensemble forme une sorte de long poème, marqué par l'attention accordée à l'infime - ailes d'oiseaux, coccinelles, papillons, traces légères ou lettres originelles, enfouies dans les sables... Au fil des recueils, les variations de la forme, pour une part, tributaires des péripéties vécues sur divers continents, n'occultent pas l'essentiel : le patient tissage de ces Liens si fragiles (Rougerie, 1995) qui conjurent l'absurde.

Sur la scène de ce livre, Raymond Farina fait jouer des actrices étonnantes : les " poussières " en " gloire ". Pourquoi glorifier les poussières ? Loin de la pompe des rois vaniteux, elles sont, comme un rire de " bouffons " ou de " clowns ", la preuve ailée, rythmée par le vent, que nous ne durons ni ne possédons ; qu'en revanche, nous désirons, rêvons, aimons : de l'atome à l'éclat d'une étoile, elles forment le substrat d'une énergie élémentaire et désintéressée, consubstantielle à l'univers. En même temps que notre fugacité dans le tourbillon des êtres et des choses, elles ravivent la saveur de chaque instant. Cette saveur qu'à chaque seconde nous piétinons, en nous comportant en " arrogants ", en guerriers (" Que la guerre était belle "), en destructeurs de planète - " l'hiver s'égare dans l'août " -, en possesseurs d'une " vérité / jouet de troubles stratégies ".

De fait, l'espace-temps que nous nous inventons n'est pas celui de ce " passant de l'Infini ". Le poète lui-même se dit d'emblée si proche des antiques rois mages, salués comme des voyageurs de l'"Éternel " ! La durée poétique forme un pont jaillissant entre un " présent " à goûter et le " futur simple ", un bondissement perpétuel. Sa manière d'enchaîner les vers et de nous rendre le " sublime " familier correspond à ce frémissement qui suit tranquillement son cours : excédant rarement l'octosyllabe, le poète raconte une " fable sans fin ", toujours mélodieuse, qui cherche à capturer dans son tissu calligraphique l'étrange lueur des " cendres ", des " brindilles ", des " lucioles ", des " couleurs ", de ce qui échappe aux formes définies pour s'envoler jusqu'aux étoiles. Tout en exerçant, sans relâche, sa lucidité sur le monde délirant où nous nous enfermons, le poète ranime nos " possibles éteints ", décrit le " tremblement de la main " ou la " pulsation des syllabes ", convoque l'" ange vrai " qui chevauche les siècles et convertit " en millénaire / un lumineux instant d'avril ".

Rien de plus profond que cette poésie : son apparente simplicité retient ces paradoxes dont manquent nos discours. Sans jamais se départir de son humilité, Raymond Farina reste le poète-philosophe

de ce

" Grand Tout, qui n'est pas rien,

quelque chose d'insignifiant

& de doux éternellement

mais seulement pour un instant ".


Sabine Dewulf
D.R. Texte Sabine Dewulf
pourTerres de femmes