Oh je voudrais tant que tu te souviennes d’une époque où les poètes maniaient la provocation avec une subtilité inouïe.
Quel exercice difficile que de rendre hommage à un maître des mots avec mes propres mots, comme je me sens petit à l’ombre de ce géant.
J’aimerais pouvoir triturer et torturer les mots comme Serge Gainsbourg et puis leur donner une grâce infinie, aérienne, profonde. Oh, et puis non, cet homme est unique, pourquoi chercher à l’imiter ? Juste l’écouter.
Mais comme il doit être agréable de pouvoir s’emparer d’une émotion et de la convertir en une empreinte esthétique et délicate qui s’enracine dans la mémoire collective.
Quelle expérience inoubliable et impossible que de voyager dans le cerveau de Serge Gainsbourg, de rester coi devant ses fulgurances, de se taire en admirant les connexions magnifiques entre les sons et les phrases ou d’essayer de comprendre les trajectoires sublimes qui mènent à son génie.
Je suis venu te dire à quel point ce 2 mars 1991 a été un jour pénible. Je revenais du ski, j’ai déchaussé, j’ai ôté mes gants, j’ai allumé la radio, et le journaliste nous informa d’une manière laconique et émue : « Serge Gainsbourg est mort ». Disparu dans des volutes de Gitanes.
Ne vous déplaise, je souhaite à chacun d’entre nous d’avoir, ne serait-ce que le quart du tiers du centième de l’inspiration de cet artiste tellement inspirant que j’avais vu en concert quelques mois auparavant ; oui, vous pouvez officiellement me détester, j’ai eu cette chance de le voir sur scène.
Oh, certes, les ligues de vertu, les adorateurs du politiquement correct et les fanatiques de l’écriture inclusive vont probablement râler et désapprouver le fait que j’encense ce personnage qui a rendu son dernier souffle nimbé de nicotine il y a déjà 30 ans.
Gainsbarre, sa part d’obscurité assumée, revendiquée, arrogante, fragile, éblouissante. Serge Gainsbourg avait érigé l’irrévérence en une forme d’art jubilatoire, pudique, sensuel et mélodique.
Cet artiste timide, sensible, impulsif, excessif, outrancier, iconoclaste laisse derrière lui et surtout devant nous une œuvre considérable parce que je n’ai aucun doute sur le fait que nous l’applaudirons encore dans 30 ans.
Oh je voudrais tant que tu te souviennes.
Protégé par le droit d'auteur (voir les modalités).