Dites moi quelque chose, un mot, un rien me suffira, je suis attentive au moindre zéphyr, je saurai deviner le peu que vous auriez à me dire, serait-ce le frémissement d’un rideau sous la brise, un pétale qui vient s’échouer sur le guéridon, un moineau sur la terrasse occupé à jaboter, une musique égarée…
Vous me manquez tant, pourquoi faut-il souffrir votre absence quand pourtant je vous soupçonne tout près ?… Le temps me semble tellement long quand il n’est peut-être pour vous qu’un battement d’ailes de papillon…
« Mal heureux » ceux qui s’en passent où préfèrent fermer les yeux… Quel dommage de se priver d’envisager l’Après autrement qu’enfermé et enterré six pieds sous cette terre…
Au fil des années la mort m’a fauché tant d’aimés ! L’âge me fait remonter la file et de me retrouver presque au premier rang … Il est curieux de se voir devenu vieux sans presque s’en être rendu compte, voilà qu’il est désormais très facile d’être l’ainée dans bien des assemblées…
Quand il sera l’heure de m’en aller, mon seul regret sera de quitter mes enfants, ceux qui me sont chers et qui, des années durant, m’auront aidé à porter mes ballots bien chargés, la vie est un magnifique apprentissage dont il me tardera de mesurer l’avancement dans le miroir de mon existence. Je serais curieuse de pouvoir observer les chemins que j’ai empruntés, de comprendre mes choix et ce qui aurait résulté de ceux que j’aurais pu faire différemment… On me parle alors de synchronicité qui confirmerait l’adage selon lequel tous les chemins mèneraient à Rome, aussi labyrinthiques seraient-ils… Drôle d’existence qui nous interroge sans fin sur sa propre finalité, pour autant qu’on veuille bien lui en prêter une…
Le sentiment profond qui s’est imposé au fil du temps et de mon vécu m’incite à croire que la mort n’est qu’une étape. J’entends déjà le chœur des septiques se gausser avec indulgence de mon recours à une théosophie rassurante… Ça n’est pas ici l’intentionnalité, même si cette approche permet sans doute de donner plus facilement un sens à notre cheminement et à nos odyssées. Mais pour autant rien ne m’est moins douloureux ou plus facile. Il s’agit simplement d’une façon comme une autre de se situer dans ce monde.
Que le marbre est froid qui abrite l’ombre de vos vies… Je sens bien que ce n’est pas là que vous êtes, ces rendez-vous me laissent frustrée de vous y avoir attendu en vain, vos tombes sont vides, mon âme emplie de ce que nous avons partagé en chemin, l’âme est la force vive de notre être, elle ne peut être retenue sous une pierre, fut-elle cimentée, on n’enterre jamais que ce qui peut l’être, une matière, mais jamais le pur esprit qui un temps l’animât…