38. Ce qui se cache sous le voile intégral…Je ne pensais pas y revenir aussi tôt, vu que la Tunisie et les Tunisiens ont bien d'autres aspects moins répulsifs à faire valoir, mais les médias locaux de ces jours m’y ramènent, annonçant que le ministère de l'Intérieur va sévir contre le niqab, ou voile intégral.Or, à peine avais-je passé en revue, ce matin sur une terrasse de l'avenue Bourguiba, les premières pages de La Presse, du Temps et du Quotidien, qu'une élégante silhouette toute noire au visage invisible, mais probablement jeune à en juger par sa tournure et les baskets de son compagnon, traversa mon champ de vision comme pour illustrer ma lecture...Si l'argument invoqué aujourd'hui par les autorités implique le risque de dissimuler, sous le niqab, quelque terroriste armé, un récente affaire, hallucinante par les dimensions qu'elles a prises, de l'hiver 2011 au printemps 2012, prouve que l'arme de guerre du niqab est peut-être plus efficace quand elle devient ce qu'on pourrait dire la robe-prétexte du fanatisme - je veux parler de l'affrontement, parfois d'une extrême violence, qui a eu lieu des mois durant dans l'enceinte en principe protégée de la Manouba, université de Tunis, opposant UNE étudiante refusant de se dévoiler, soutenue par une camarilla de prétendus défenseurs de la liberté religieuse, par ailleurs étrangers à l'université, et les autorités et autres professeurs de celle-ci.Vu de l'extérieur, un tel conflit pourrait sembler dérisoire, ne concernant en somme que les élites académiques. Or il faut y voir, au contraire, un exemple emblématique de l'utilisation perverse d'un précepte vestimentaire, d'ailleurs sans fondement théologique avéré, pour l'intimidation d'une communauté vouée, par nature, à la défense de la liberté de penser et d'agir.De ce stupéfiant feuilleton, qui a impliqué jusqu'aux plus hautes autorités de l'Etat (fort peu glorieusement à vrai dire), face à un doyen (Habib Kazdaghli) faisant figure de héros, les Chroniques du Manoubistan témoignent, signées par un professeur de non moins remarquable courage (Habib Mellakh) qui a lui-même été gravement molesté.En voyant passer, sur le pavé de l'avenue Bourguiba, le gracieux fantôme noir de la fille au niqab, je me disais: et pourquoi pas si ça lui chante ? Cependant il en va tout autrement d'une étudiante supposée prendre place dans un auditoire, montrer à ses camarades son visage découvert et regarder bien franchement ses professeurs, dont on comprend qu'ils défendent plus qu'un principe: une façon de confiance réciproque, ainsi que l'exprime Habib Melkach en termes clairs et bienveillants.°°°Dans l'affrontement qui a opposé la porteuse de niqab et les autorités de la Manouba, le plus effarant est aussi bien le soupçon porté par les défenseurs du voile intégral contre les professeurs accusés de vouloir « dénuder » leur virginale étudiante. On a bien lu: dénuder. Montrer son visage équivaut à se dénuder. Et s'opposer à un tel délire reviendrait à céder à la libidinosité la plus crasse ?Tout cela prêterait juste à sourire, une fois encore, si les Chroniques du Manoubistan ne révélaient, en fait, une affaire signalant, à tous les niveaux de la société, un véritable plan de déstabilisation et d'intimidation relevant du terrorisme obscurantiste. Autant dire que ça m’a fait me réjouir d'en rencontrer bientôt l'auteur et son pair doyen…