Jean Luchaire – Elaine de L.

Publié le 29 mars 2021 par Perceval

Lancelot ressent une certaine sympathie pour Jean Luchaire, de même âge et une certaine ascendance intellectuelle, et pour qui la réussite semble sourire.. Des points communs : un goût pour l’étranger ( l'Italie pour Jean) et un désir politique ancré sur le pacifisme ; et une différence non dénuée d'intérêt, qui est la base socialiste de ses convictions …

Entreprenant, Luchaire a déjà tenté la création d'une revue '' Vita '', abandonnée puis reprise en 1924: Il dénonce le mépris et la haine entre les anciens belligérants, et le Traité de Versailles... Il imagine la suppression des armées nationales, la suppression des égoïsmes nationaux...

Luchaire souhaite intervenir dans le débat politique et avec quelques uns lancent un manifeste, l'Effort , c'est une étape. En 1921, ce sera '' La Jeune Europe''...

Jean Luchaire réussit à s'inscrire dans une carrière journalistique ; il intègre '' l'Ere Nouvelle'' et ''Le Matin''

Lancelot se sent appartenir à une jeunesse qui veut affirmer aux générations précédentes sa différence : l'internationalisme, et une inquiétude de l'avenir, qui se traduit en questions, ruptures et recherche d'engagement... On s'amuse, on discute et on se dispute... Chacun teste des groupes, des ligues, des conférences... souvent éphémères. On s'engage dans des joutes verbales afin de chercher de nouveaux cadres théoriques...

Lancelot, de nature, serait plus intéressé par des questions sur les passions, l'existence de Dieu, et la marche des mondes ; mais dans l'ensemble, sa génération est peut-être plus pragmatique, et se confronte davantage aux rapports internationaux, à la politique et à l'économie...

Le jeudi, au 86, rue Claude-Bernard, les époux Luchaire reçoivent beaucoup de monde, on peut y croiser ( en mélangeant les époques …) : Paul-Boncour, Osuski, l'ancien ministre de Tchécoslovaquie, Stève Passeur, Claude Dauphin, Paul Reynaud, Pierre Brossolette, Pierre Laval, Otto Abetz, Léo Ferrero, Jacques Chabannes, Marcel Achard et Stève Passeur, Pierre Mendès France et Bertrand de Jouvenel, Rainer Maria Rilke, Paul Colin, Jean Fayard aussi bien que Louis Martin-Chauffier, Claude Aveline ou Georges Auric, Alfred Fabre-Luce et même Jean Giraudoux.

Titaÿna

On discute politique, théâtre. On fume, on se fâche ( source Corinne Luchaire, et Gilberte Brossolette)

Lors de l'une de ces soirées, l'invitée vedette est Titaÿna ( Élisabeth Sauvy (1897-1966)) une jeune femme d'action, les cheveux noirs bouclés, belle, « aux yeux de bédouine ( P. Mac Orlan) », mince, nerveuse... Romancière ( en 1925, avec 1925 ''la Bête cabrée'') et en train de devenir ''reporter''... Chacun, chacune est aimantée vers cette jeune femme qui pourrait représenter le modèle de la femme des ''années folles'', avec les rythmes de jazz qui résonne dans un dancing comme le ''Bouf'', cabaret que Titaÿna fréquente...

Lancelot, lui, s'est approché d'une femme, un peu en retrait, et dont il saura beaucoup de choses à l'issue de cette soirée...

Elaine de L. est la fille d'un sénateur, elle s'est mariée à dix-huit ans. L'union est devenue désastreuse, la jeune femme dépérit et songe à prendre le voile... Elle part en retraite dans un monastère, mais son père la récupère ; et lui propose de surseoir à sa décision, en l’accompagnant dans un grand tour culturel en Italie...

Réflexion faite, si elle reste très croyante, elle préfère profiter de la vie d'une femme séparée de son mari, mais libre... Elle écrit, et a déjà publié deux romans et un recueil de poèmes préfacé par Claudel …

Lancelot est frappé de la beauté de son visage, et de l'intensité de son regard qui - quand elle parle d'elle - semble craindre d'effrayer son interlocuteur. A cette jeune femme, douce, attentive, Lancelot naturellement en vient à lui parler de ses doutes, de sa recherche...

Elle même se demande si – en quittant le monastère – elle n'a pas tourné le dos à la Vérité ?

Lancelot l'écoute, et se surprend à défendre une autre manière d'envisager sa vocation personnelle :

L- N'était-ce pas une fuite vers un refuge.. ? Et, cela devait être nécessaire, vous aviez besoin de souffler... Votre père aurait pu vous y laisser... Ces deux attitudes ( la vôtre, la sienne) vous auraient été imposées par les circonstances ; auraient-elles correspondu à un véritable choix de votre part … ?

Au lieu de cela il n'a écouté que son amour pour vous, son intuition ; et vous a incité à construire un autre chemin qu'il n'imaginait pas, mais qu'il vous rend possible ….

E- Cet accueil des religieuses, était un don de Dieu...

L- Ce don, n’était-il pas un chemin déjà tracé par d'autres...; ne devez-vous pas le construire par vous-même... ? Que désiriez-vous vraiment?

E- N'est-il pas bon de sacrifier, nos désirs, nos passions humaines ; pour un don plus grand... ?

L- C'est curieux, la manière dont vous posez cette question... Comme si, cet enfermement – qui ne correspond peut-être pas à votre personnalité - permettait seul, de recevoir le don divin ; et comme si donc, il fallait sacrifier son désir.... Quel était donc votre désir profond ?

E- Là-bas, je m'abandonnais à Dieu... 

L- A Dieu, ou à ceux qui décident pour vous … ?

E- La Vérité, ne nous est-elle pas donnée... ?

L- La Vérité est à découvrir, par soi-même, à la lumière d'une Tradition. Pour moi, c'est une Quête …

E- L'Eglise porte la Tradition.

L- Je ne peux pas me contenter de recevoir la Vérité... Je me dois de la vivre, de la valider, de grandir avec... La Tradition n'est pas figée, elle est vivante et ne demande qu'à être reçue, transformée. Il ne s'agit pas de l'enfouir pour la préserver... Ne serais-je qu'un gardien de la Vérité... ?

Cette discussion avec Elaine, est retranscrite à partir des notes de Lancelot, à l'issue de cette soirée... Il s'étonne lui-même d'avoir développé ainsi une réflexion sur la Vérité de la tradition, comme si à ce moment là, leurs deux esprits lui avaient permis de clarifier ses propres idées...

Quand Lancelot et Elaine se sont quittés... Elaine lui a exprimé combien ses paroles avaient été justes et la libéraient...