U n certain vendredi d'avril, j'ai rompu avec la morosité du confinement et mis un terme à mes tribulations quotidiennes pour lire Lauzes d'Angèle Paoli. Quel voyage !
Des retrouvailles en premier lieu : du goût de l'antésite avec, à l'ombre du mystérieux entrepôt proche de la maison familiale, l'image de la petite, minuscule entre le Père et l'Homme de la TAM, détenteur du breuvage à la réglisse, à la Collection Rouge et Or, ou aux pages du Petit Larousse illustré...
Des rencontres surprenantes... comme celle d'Aïta, figure féminine d'un autre temps...
Des dépaysements avec, au détour d'une phrase, le surgissement de mots singuliers... Du " glaiseux " à la " petite voix qui frivole dans les arbres " ou aux " cristes marines ", nous avons l'embarras du choix... Un vrai festival !
Des attentes et des questions en suspens...
Et puis la Vie, en particulier sous ses formes les plus menues, les plus secrètes et aussi... l'omniprésence de la Mort... L'insolite, la nostalgie, la mort... Et tout un monde de contrastes : de la rusticité au raffinement - subtil jeu d'ombres et de lumière, veinules et irisations, palette des gris et des grenats, des roses et des mauves offerts par la nature -, du minuscule au gargantuesque, univers effrayant et fascinant des insectes, un gastéropode géant. Tout un bestiaire ! Bref, on ressort de cette lecture tout ébaubi, à la fois mélancolique et heureux.
Mélancolique sans doute parce qu'on sent plus que jamais en soi le cheminement de l'irréversible, l'emprise mortelle du temps, heureux parce que tout au long de ces pages faisant vivre sous nos yeux " des lézards filant au fil des lauzes ", " de vieux murs enlacés par des lianes ", " des arbres défeuillés ", mélancolie, musique et beauté se mêlent intimement, heureux également parce qu'ici l'humour a lui aussi son mot à dire ; qu'il s'agisse de " gendarmes [les insectes !] occupés à copuler sans réserve ", du portrait d'un bousier, " minuscule Sisyphe poussant sa bouse ", de formules lapidaires : - " Elle déclenche Éole " -, témoin du regard amusé que la narratrice porte sur elle-même et ici, en l'occurrence, sur le mille-pattes qu'elle observe et qui " trottine ", " hissant du col ", insoucieux de la bourrasque à venir. Que le lecteur se rassure : aucune cruauté dans ces agissements (" Le vent se retire aussi soudainement qu'il est apparu et le minuscule myriapode reprend sa route comme si de rien n'était "), le sourire est là, qui fait la nique au désespoir.
Marie Lagrange
D.R. Texte Marie Lagrange