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[lu] henri calet, je ne sais écrire que ma vie (recueil édité par michel p. schmitt, préface de joseph ponthus)

Publié le 23 avril 2021 par Tilly

aux Presses Universitaires de Lyon,lien mars 2021, 256 pages, 20 euros

4e couv — Entre 1935 et 1955, Henri Calet compose une somme impressionnante de textes : chroniques, romans, nouvelles, critiques, pièces radiophoniques, scénarios, reportages… Il trace ainsi son sillon d’écrivain, faussement léger et légèrement désespéré. Dans les entretiens qu’il accorde à la presse et à la radio, c’est également de cette façon qu’il évoque son travail d’écriture et sa position dans le monde littéraire. Mais Henri Calet ne se raconte jamais si bien que dans ses silences ou ses à-côtés – à côté de la question, à côté du sujet, à côté de lui-même, parfois.  Michel P. Schmitt réunit pour la première fois ces prises de parole, auxquelles il apporte un indispensable éclairage historique et biographique. Et il complète cet ensemble d’un inventaire exhaustif de l’œuvre de l’auteur. —  Henri Calet (1904-1956) est l’un des plus brillants représentants de l’écriture en première personne des années 1940-1950. Il fut à la fois romancier (La Belle Lurette, Le Bouquet), « prosateur » (Le Tout sur le tout, Les Grandes Largeurs), nouvelliste (Trente à quarante), critique, dramaturge radiophonique et surtout chroniqueur (recueil Contre l’oubli) — Michel P. Schmitt, professeur émérite de littérature française à l’Université Lumière Lyon 2, est spécialiste, entre autres, de l’œuvre d’Henri Calet. Il a d’ailleurs publié nombre de textes inédits de l’auteur : De ma lucarne (Gallimard, 2014), Paris à la maraude (Éditions des Cendres / Enssib, 2018), Mes impressions d’Afrique (PUL, 2019) —  Joseph Ponthus, auteur du très remarqué À la ligne : feuillets d’usine (La Table ronde, 2019), signe la préface de cet ouvrage. Grand admirateur d'Henri Calet, il partageait avec lui l’ambition d'être l'écrivain des invisibles. Il est décédé le 24 février 2021.Un jour de 2020, j'ai appris que Joseph Ponthus allait préfacer un ouvrage sur Henri Calet avec des textes et entretiens inédits rassemblés et présentés par Michel P. Schmitt.

J'étais contente, impatiente, et surprise un peu (Ponthus ne parle pas de Calet dans À la ligne).

Un peu plus tard, c'était dans l'été je crois, j'ai compris que Joseph était soigné pour un cancer (il parlait chimio sur facebook, il faisait des photos amusantes de ses plateaux repas à l'hôpital, du goéland qui venait toquer à sa fenêtre et qu'il semblait avoir apprivoisé, ses amis lui envoyaient des cœurs et des encouragements...).

La terrible nouvelle est tombée le 24 février 2021. Je n'aurai jamais l'occasion de parler d'Henri Calet avec lui, comme je l'ai fait un jour à La Maison de la Poésie avec Jean-Luc A. d'Asciano.

" On n'est pas gentil pour moi. " disait souvent Calet. Je ne sais pas qui n'a pas été gentil pour Joseph, ni pour Henri, mais l'issue a été dramatiquement la même pour les deux, encore plus précocement pour Joseph Ponthus.
Je ne peux m'empêcher de penser bêtement que d'ici 70 ans Ponthus aurait été sauvé, tout comme aujourd'hui la maladie cardiaque de Calet serait améliorée par la pose de stents qui ne se faisait pas en 1956

>> Ponthus comme Calet


extraits de la préface de Joseph Ponthus “ Aux flâneurs des deux rives ”

Comme lui, je suis du peuple et n'ai jamais été que ça : chômeur, travailleur social, ouvrier dans l'agroalimentaire. Comme lui, je crois n'avoir jamais su écrire que moi et les petites vies qui m'entourent. Comme lui, il se trouve aujourd'hui par bonheur que je fais le métier d'écrivain.

Par la grâce d'un livre bien reçu par la critique, la profession et le public, me voici, comme Calet, rendu à exercer “ le métier d'écrivain ”, ainsi qu'il le définit à de nombreuses reprises dans cet ouvrage. Drôle de métier, en vérité, et Calet montre l'ombre du décor : les traites, charges et loyers à payer ; devoir accepter d'écrire articles, chroniques pour quelques salaires ; rêver du prochain grand roman mais avoir besoin de vacances ; se foutre un peu des confrères et envoyer en l'air certaines questions des journalistes ; être dans son coin du 14e arrondissement avec le Lion de Belfort pour boussole. La reconnaissance qui ne vient pas toujours à sa juste valeur.

>> c'est quoi ce livre ?

Joseph Ponthus en donne la plus exacte des descriptions, autant la recopier !

Outre la recension exhaustive des œuvres, des articles, des entretiens donnés par Calet — ce qui constitue déjà en soi un apport majeur —, l'ouvrage conçu de manière chronologique, entremêle finement le contexte historique et littéraire de l'époque, la biographie de Calet et les textes rassemblés par Michel P. Schmitt.
Il en apprendra autant au néophyte afin de lui permettre d'aimer sans détour l'œuvre, le personnage et l'écrivain qu'au passionné, assuré de trouver dans ces pages nombre d'inédits. Il m'en a appris aussi, à moi, qui ne suis ni néophyte ni expert mais jusqu'alors un simple amoureux des quelques livres de Calet que j'avais lus.

Oui, c'est un livre de spécialiste, mais non, ce n'est pas un livre pour spécialistes.
C'est vrai, il a les attributs d'un travail universitaire, d'un ouvrage de référence : les notes en bas de page, les annexes bibliographiques, les indexes, l'explicitation des sources.
Pourtant, la forme savante du recueil (l’austérité va bien à Calet) procure paradoxalement une lecture passionnante, très vivante, presque un suspense : on suit pas à pas (surtout à partir de 1945) l'écrivain dans ses projets d'écriture successifs et rapprochés pour pouvoir en vivre, son opiniâtreté à justifier la forme de son travail et sa conception personnelle du métier d'écrivain.

Bon, il y a des redites, mais c'est normal : quand Calet s'exprime sur son dernier livre publié et qu'il en parle successivement pour deux ou trois revues et radios, il réutilise ses propres mots, on ferait pareil.
De plus, je ne pense pas qu'il ait été un foudre de l'auto-promotion... plutôt du genre à faire enrager les médias.  Quand il en rencontre de temps en temps des pas (ou moins) formatés, cela donne de savoureux échanges, comme avec Pierre Bergé (18 ans !), Paul Guth, Jean Duché, et d'autres.

Mais il lui faut aussi répondre à des questions bateau (ce que les journaux appellent des enquêtes, lancées auprès de plusieurs auteurs à la fois) comme : “avec quel héros de roman passeriez-vous vos vacances ?”, “tenez-vous un journal ?”, “de qui les écrivains tombent-ils amoureux ? ”, “l’œuvre de Victor Hugo vous a-t-elle influencé ?”, “y-a-t-il une crise du roman français ?”, “quel cadeau de Nouvel An souhaiteriez-vous recevoir ?”, etc.
Une dernière : “quel cadeau de Noël feriez-vous à un enfant célèbre de la littérature ?”. Calet choisi Poil de Carotte, pour lui offrir “une bonne maladie” qui contaminerait tous les Lepic et ferait de lui un orphelin !
Je me disais mais je me trompe peut-être, que de nos jours les chroniqueurs littéraires ne posent plus de telles questions aux écrivains...
Calet, lui, s'en tirait avec des pirouettes délectables ou des aphorismes à l'humour “gris” (infra).

>> quelques extraits et aphorismes

Que l'on ne s'y trompe pas : j'aime ça [la vie], j'en suis fou. Et d'autant plus que nous n'avons rien d'autre : c'est unique, une occasion exceptionnelle, comme disent les camelots. Tout se passe ici. J'ai seulement quelque mélancolie en la voyant se perdre minute par minute. Ce sera bientôt fini.

La Seine ? J'ai pris l'habitude de la sentir couler près de moi, toute verte. Nous sommes comme mari et femme, nous couchons ensemble. Je viens de la traverser encore ces jours-ci au pont de l'Alma, sous un grand soleil. J'ai pensé qu'elle continuera à couler après moi, sans moi, que tout mon sang sera hors de mes veines ; j'en ai eu un peu de chagrin que, tout en marchant, j'ai fourré dans ma poche, avec les autres...

Ce dégoût des lieux communs... Un lieu commun ne l'a pas toujours été. À l'origine, il n'y en avait pas, mais rien que des mots en masse à l'état naturel qui appartenaient à tout le monde. Ce devait être une heureuse époque. Tandis qu'aujourd'hui chacun doit réinventer un langage qui n'aurait servi à personne.
Un langage qui deviendrait à son tour lieu commun. (Pourquoi ne pas revenir à l'ancienne rhétorique ?)

L'humour c'est, à mon avis, une manière de crier sans bruit, c'est également une manière de pleurer sans larmes.

[à propos de l'écriture de ses souvenirs] Voyez-vous, ce qui me plaît dans cette affaire, c'est de déguster tout doucement la vie après coup, en forme précisément de souvenirs. Je trouve que l'existence a un arrière goût parfois bien agréable. Mais sur l'instant, elle est le plus souvent immangeable.

[son point de vue sur la télévision] Mais je suis né avec le cinéma, je lui suis très attaché sous la forme que j'ai connue, celle des salles obscures, où le public apporte une atmosphère et un contact qui me manqueraient à domicile. L'attente où l'on est d'un grand film, le geste de s'apprêter pour sortir, le sacrifice d'une soirée, la queue d'attente elle-même sont tout un cérémonial qui, pour moi, ajoute au plaisir que j'en ai.
Profitera-t-on aussi bien d'un spectacle facile, à portée de la main, ponctué de coups de téléphone des amis et des mille distractions de la maison ? Et, s'il vous arrache à tout, ne sera-ce pas un peu terrible, cet envahissement du monde extérieur qui ne vous laissera plus le temps de lire, plus ce temps tellement fructueux de ne rien faire ?
(à suivre)

Non, je ne tiens pas de journal ; je n'écris pas davantage de mémoires. Je n'ai rien à dire à la postérité. Il se peut que je change d'opinion là-dessus, plus tard ; mais je ne crois pas.

Écrire à la première personne, c'est être double.

Quand on écrit ces traités d'abdication que sont mes livres, on a envie d'écrire le contraire. Mais je ne sais écrire que ma vie. Ou alors, attendre, pour le roman, d'avoir la cinquantaine, âge climatérique ?

C'est long, une vie à pied.

>> prérequis

Je recommande quand même de lire un ou deux Calet non commentés avant d'entamer celui-ci, pour se mettre dans l'ambiance.
On m'a déjà demandé lesquels pour commencer... le genre de question qui me paralyse... alors presque au hasard : Le Tout sur le tout, L'Italie à la paresseuse (ce sont les premiers que j'avais lu je crois, quand Alain Bonnand me l'avait fait découvrir en 2013, m'écrivant : “ Allez-y en confiance, il vous plaira beaucoup : c'est mon grand frère, je viens de le vérifier de nouveau et il habitait pas loin de chez vous... ”).
Mais c'est seulement pour commencer !


>> on parle aussi ici de Je ne sais écrire que ma vie :


>> d'autres notes où il est question de Calet et de ses livres (catégorie en lien)


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