Lors d'une soirée, où Anne-Laure de Sallembier est à Paris; elle reçoit son amie Elisabeth de Gramont, Olivier Costa de Beauregard avec Paul Painlevé qui voulait le rencontrer et , par la même occasion, présenter à Lancelot un journaliste et ''collaborateur'' du ministère, Xavier de Hauteclocque.
Costa de Beauregard (1872-1958) est sur le point de créer une association de la noblesse française, en lien avec la noblesse européenne. Le prétexte de cette organisation s'articule autour de l'usurpation patronymique qui s'amplifie par la vente de titres ou même par le changement de nom à consonnance nobiliaire.
Xavier de HauteclocqueDe trois ans, plus vieux que Lancelot, Xavier de Hauteclocque (1897-1935) s'est distingué lors de la Grande Guerre, où il a perdu son père et son frère... Proche de François de La Rocque, Hauteclocque n'en fréquente pas moins les bureaux ministériels, de plus rédacteur au ''Petit Journal''; il a acquis une certaine notoriété, sur les traces d'Albert Londres et Joseph Kessel, en devenant grand reporter en Norvège, en Arabie wahhabite, et a réussit à pénétrer en Russie Rouge, jusque dans des bagnes soviétiques... Actuellement il s'intéresse de près à l'Allemagne, et s'offre d'ailleurs le luxe de parler allemand, avec un léger accent hongrois... Xavier de Hauteclocque s'interroge sur l'avenir du parti d'Adolf Hitler et sa particularité, dans le paysage politique européen... Il espère être admis à fréquenter ses adhérents...
Le réseau de familles nobles européennes permettra à Hauteclocque d'infiltrer le nouveau parti national-socialiste allemand. On parle, parmi les plus connus, de Philippe de Hesse-Cassel...
Ce doit-être à cette époque que Painlevé propose à Lancelot un travail régulier et reconnu dans les services de renseignements du ''2ème bureau'' de l'Etat-Major. Sa pratique de la langue allemande, son réseau mondain, sa discrétion et aussi son goût du ''chiffre'' vont lui permettre en toute discrétion la poursuite de ses contacts avec des acteurs de la culture allemande. Son contact opérationnel sera le commandant Louis Rivet, stationné à Belfort...
A partir de 1930, Lancelot va donc se rendre régulièrement en Allemagne pour des raisons culturelles...
Affiches de 1930 anti-Plan YoungAlors que se termine la deuxième conférence de La Haye sur les réparations allemandes, avec l'adoption définitive du plan Young; Hauteclocque rappelle que l'Allemagne va devoir payer à peu près deux milliards de marks par an, jusqu'en 1988; alors que le nombre de chômeurs dépasse les 3 millions...!
Les deux chefs nationalistes, Adolf Hitler (NSDAP) et Alfred Hugenberg (DNVP) ont constitué, avec d'autres organisations de droite, un Front national de lutte contre le plan Young. Heureusement, pour l'instant le référendum et le projet de « Loi contre l'asservissement du peuple allemand », soumis au Reichstag, ont été repoussé; mais jusque à quand?
Hauteclocque semble inquiet...
Les Amis du Livre français, dont fait partie Elaine, s'est réuni chez la duchesse de Broglie pour entendre une conférence des plus spirituelles et des plus documentées faite par le comte de Saint-Aulaire, ambassadeur de Fance, avec son érudition habituelle, sur '' La diplomatie en 1830 ''. Saint-Aulaire, sympathisant de l'Action française, et admirateur de Talleyrand, vante à Lancelot, les fonctions de diplomate... Talleyrand était un partisan résolu de la paix et de l'équilibre européen, Bonaparte ne l'a pas assez écouté...
Saint-Aulaire s'en prend à un parallèle diplomatique lu dans la presse, entre ''Herriot et Talleyrand'', qui présenterait une vision libérale, et ''Napoléon-Poincaré'' qui représentait la voie de l'inflexibilité... Il insiste : Talleyrand pariait sur un équilibre européen et monarchique.
Pour ce qui est du Congrès de Vienne, le conférencier rapporte de nombreuses anecdotes …
Lors de cette conférence, Elaine s'étant entretenue avec la baronne de Brimont, elle tient absolument à la revoir avec Lancelot. En effet, elles échangeaient sur la poésie, et évoquaient le poète Lubicz-Milosz qui parle du poids du mot '' père de l'objet sensible'' ou comme Valéry le dit du mythe, qui est: ce qui a le mot ( ou la parole) pour cause... Cet homme, Milosz qui a été le premier représentant diplomatique de la Lituanie en France, se consacre à présent à l'écriture et rêve de reconstruire une élite spirituelle qu'il imaginait même en son début au sein de la SDN ...!
Renée de Brimont, qui connaît Milosz depuis 1915, va leur faire connaître cet homme diplomate et philosophe qui prophétise des catastrophes, auteur de ''Ars Magna '', et ''Les Arcanes'' et anti-moderne. C'est un mystique, un alchimiste, dit-elle... Un chercheur de mots, de rythme pour déboucher sur du mystère...! Son obsession, trouver l'âme des mots...
Milosz, de haute stature un peu voûtée, se rattache à un christianisme primitif, et dans le prolongement de l'action théosophique, il évoque le projet d’un Ordre du Saint Graal.
Ils sont plusieurs à penser que seule une catholicité nouvelle, c’est-à-dire universelle, et la monarchie permettraient d’inverser cette décadence occidentale...
Malheureusement, le milieu catholique n'est pas prêt; la vogue du thomisme, l'époque nouvelle qu'amorcent 1930 et 1931... n'est pas bien favorable à sa réalisation... Les pères Félix Anizan (1878-1944), le père Clavé de Otaola, puis le père Huriet ( prédicateur à Notre -Dame de Paris) qui est son confesseur l'orientent vers d'autres directions...
Guénon, Milosz se sont rencontrés chez la baronne Renée de Brimont, et se sont vus à la librairie Chacornac, ils se connaissent donc.
Le spectre noir...En février 1930, Lancelot se rend à Berlin, et se présente à l’ambassadeur Pierre de Margerie. Le diplomate se plaint de l'ostracisme allemand envers les français... Des commerçants ne craignent pas d'afficher " Franzosen und Berlgier nicht erwünscht" (les français et les belges ne sont pas les bienvenus)...
C'est pour lui l'occasion de faire un inventaire des liens franco-allemands organisés, comme le Comité Mayrisch regroupant une élite économique; représenté à Berlin par Pierre Viénot. Il retient particulièrement deux structures largement publiques qui peuvent devenir influentes: - L'association francophile Deutsch-Französiche Gesellschaft fondée en 1928 par Otto Grautoff (1876-1937) ( la DFG fut dissoute avant la Seconde Guerre mondiale. Grautoff, ayant choisi d'émigrer, décéda à Paris en 1937.). Parmi les membres fondateurs de l'association, on trouve Thomas Mann, Otto Dix, André Gide, Georges Duhamel, Albert Einstein et Konrad Adenauer.) et – le cercle de Sohlberg (Sohlbergkreis), fruit d'une première rencontre qui a lieu sur le Sohlberg à l’été 1930.
La DFG, organise, à Berlin, des ''thés'' une fois par mois, avec des français de passage, au programme conférences, lectures ou petits concerts. Lancelot va y rencontrer ainsi Edmond Jaloux (1878-1949) qui lui parle avec ferveur de R.M. Rilke. Petit à petit le caractère mondain des thèmes fera place à des sujets plus politiques...
A Mannheim, du 16 au 21 septembre 1930, se tient le «Congrès des étudiants républicains et socialistes d'Allemagne et de France» organisé en particulier par la LAURS. Lancelot y croise des personnes qui fréquentent la DFG, un groupe d'Etudiants pour la Paneurope et même le mathématicien Ludovic Zoretti connu pour son engagement socialiste et pacifiste, et Félicien Challaye professeur de philosophie à Condorcet