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Le Temps imparti

Publié le 02 août 2021 par Jlk
229873760_10227239882569725_6400102912267113927_n-1.jpg(Lectures du monde, 2021) INTERFÉRENCES ONIRIQUES.- Le cerveau en phase dormante reste une assez terrifiante usine, dont la silhouette fantasmagorique me reste ce matin après ma rôderie d’hier soir autour des friches industrielles de Chavalon où je suis monté avec l’idée d’y voir la vue sur le Haut-Lac, mais pas moyen : le site est sécurisé et je ne suis plus assez élastique pour sauter les barrières de métal qui en bouclent et l’accès et le promontoire potentiel donnant sur les lointains lémaniques, mais le fait est que des pans entiers de ce dimanche de fête nationale ont basculé dans une suite de rêves où, des hauteurs du canyon de l’inspecteur Bosch écoutant Ron Carter sur sa terrasse (8 épisodes de la septième saison enfilés de cinq heures du soir à deux heures du matin) au-dessus des constellations lumineuses de la Cité des Anges, mon submental a glissé en fondu enchaîné dans le ciel de la baie de Montreux où des foules assistaient au phénoménal feu d’artifice du 1er aout, et le verbal s’est mêlé au visuel en rebrassant mes dernières impressions de lecture, en 1939 à la fin de l’introduction poignante du Monde d’hier de Stefan Zweig, qui évoque en deux pages la chute de la Maison européenne et le paradoxe du XXe siècle diabolique et génial, ce que dit Comte-Sponville de Zweig dans le dernier article de son Dictionnaire amoureux de Montaigne, à propos de l’identification de l’humaniste autrichien au témoin d’un autre siècle de démence humaine à motifs idéologiques (les guerres de religions après la Renaissance), puis en 1034 dans un monastère d’Acre avec le petit Avner de Metin Arditi que son amour instinctif de la vie et des gens, son émoi à l’écoute des psalmodies des moines orthodoxes et sa fascination naissante pour les icônes dressent lui aussi contre l’idéologie figée de son père juif sourcilleux - bref tout un magma qui finit par une conversation très personnelle avec le président Chirac portant sur les défauts «trop humains» de Léon Tolstoï et notre attachement «malgré tout» à son pacifisme et à son activisme évangélique - celui-là même qui avait poussé le jeune Josef Czapski, notre vieil ami, et sa sœur Maria à fonder leur petite communauté d’idéaliste au tout début du XXe siècle… Nota bene : pour faire bon poids, je me rappelle à l’instant que c’est Romain Rolland qui parle, quelque part, de la visite des deux jeunes Czapski à Tolstoï, et comme Rolland était proche de Zweig et que mes derniers messages à Quentin, envoyés hier matin depuis le quais aux Fleurs, lui recommandent la lecture de celui-là, tout se tient en somme « par-dessous », dans le rêve autant qu’à l’éveil… QUENTIN ET BALZAC. – Il porte le prénom d’un personnage de Faulkner, je ne suis pas sûr que ses parents l’aient choisi pour ça, mais le fait est que ce garçon a quelque chose qui me rappelle, avec son strabisme et ses gesticulations «dans le maïs», les figures à la fois délicates et frustes, boiteuses et sauvages de l’autre Big Will qui aurait apprécié, je crois, la lecture de Notre-Dame-de-la-merci, le livre que je préfère jusque-là du lascar, qui en fera sûrement bien d’autres et peut-être des meilleurs, comme il en ira de Joseph Incardona de vingt ans son aîné.Lorsque je lui ai apporté mon premier livre, écrit « grâce » à un accident de la route qui m’a immobilisé pendant des mois aux bons soins de notre mère, Dimitri a rédigé d’autorité, à ce récit à la fois autobiographique et très sublimé dans une langue à l’évidence marquée par la lecture de Cingria, une postface « où il était question d’âge », alors que j’avais vingt-cinq ans et lui treize de plus.Quentin04.jpgOr ce que j’aime chez Quentin, comme je l’ai trouvé dans le récit intitulé Une saison en enfance de Joseph Incardona, c’est qu’avec ces deux-là, comme avec Stefan Zweig ou Balzac, je me retrouve pour ainsi dire « hors d’âge », grâce à la littérature, ou ces jours grâce à la poésie et à la philosophie, en ce qui concerne Quentin puisque ce sont ses intérêts majeurs du moment.J’étais l’autre jour dans le jardin chinois de Burier lorsque, sur un banc à prendre des notes en rose et turquoise dans mon nouveau carnet genre moleskine (alors que j’écris d’habitude en vert dans mes PaperBlanks), je reçois un texto de Quentin qui me dit qu’un auteur romand de notre connaissance, le cher F.D., prof de lettres en retraite, lui a balancé comme ça qu’Illusions perdues était un roman «adolescent et naïf», ce qui me semble une stupidité d’autant pus éberluante que l’écrivain en question est un pair hautement estimable et quasiment un ami.Pourtant je me rends mieux compte, aujourd’hui, de l’incompréhension qui a présidé à la lecture de Balzac dans nos générations, et je réponds à Quentin que l’ado naïf en question a parlé plus génialement que quiconque de la naissance du journalisme et de sa corruption, dans Ilusions perdues, et que le dédoublement de l’Auteur en multiples personnages (Lucien, David, d’Arthez, Lousteau, etc.,) incarnant les multiples positions qu’on peut avoir par rapport à la «pure» littérature, à la vogue populaire du feuilleton, à l’usage commercial ou politique de la presse, au putanisme médiatique en train de se développer, etc., sans parler des portraits de femmes qui émaillent le roman – que ce dédoublement fonde un prodigieux roman de l’apprentissage autant qu’une leçon d’éthique artistique sans pareille, etc. QUESTION D’ÂGE. - Comme le relève André Comte-Sponville à propos de Zweig, l’amitié a été l’une des formes d’amour les plus constantes dans la vie de celui-ci, à des hauteurs évoquant la relation de Montaigne et La Boétie, non pas dans le sens d’une amitié amoureuse équivoque (comme d’aucuns n’ont pas manqué de le suggérer à propos de ces deux derniers), mais dans la relation « pure » d’esprits et d’expériences «en phase» que la différence de génération rend le plus souvent problématique.Le tutoiement prématuré et la puérilité des échanges actuels amorcés par l’exaspérant «coucou» font peut-être illusion aux yeux de certains, mais je parle d’autre chose : de l’amitié qui résiste au temps, et pour ma part, dans l’absolu de la relativité amicale, je n’ai guère qu’un ami au monde, que je voussoye depuis bientôt 50 ans, que j’aime comme un bon vieux fauteuil ou comme un chat, un paysage ou un parfum, comme la vie pour ce qu’elle a de meilleur ou comme notre prochaine conversation – tous mes autres amis n’étant en somme que de bons camarades, et c’est déjà beaucoup. Or tous ceux-là ont à peu près mon âge, y compris Quentin qui est aussi « vieux » avant l’âge que je l’étais au sien…Quant aux amies c'est un autre roman, ou le sujet de nouvelles pour Stefan Zweig.12495049_10209167186843627_7420092155573828231_n.jpgLADY L. – Lorsque je lui parle de cette question de l’amitié entre deux mecs d’âge différent, ma bonne amie (que je pourrais aussi appeler mon bon amour) me dit qu’elle est peut-être possible à condition que le plus jeune soit demandeur, puis elle identifie tout de suite G. quand je lui évoque mon seul ami relativement « absolu » de très longue durée (elle pense comme moi que celle-ci est un critère), en me rappelant cependant la fidélité de R. que Maître Jacques, incapable d’amitié vraie pour sa part, taxait de « bon chien » et qui est en effet resté le plus loyal de mes compères depuis les années 80, mon compagnon de route et qui m’appelle « camarade » au téléphone comme si nous étions de vieux cocos du parti rouge.Cela dit, ce n’est qu’avec G. que nous pouvons nous dire «tout», à savoir n’importe quoi ou le contraire, et plus librement aujourd’hui que nous avons tous les deux un demi-pied au ciel…Par ailleurs, le culte de l'amitié n'est pas du tout notre genre, avec Lady L. Nous aimons bien nos amis, faut pas croire, mais faut pas pousser non plus, et Comte-Sponville a sûrement raison en émettant comme un petit doute sur la sublimité pyramidale de l'amitié de La Boétie et Montaigne, lequel en a probablement rajouté un peu comme souvent les écrivains quand ils visent la postérité.Or Montaigne est aussi le bon génie du quotidien. Lady L. revient de son marathon matinal de 500 mètres, jusqu'à la pharmacie holistique et retour avec son déambulateur, notre aide de ménage érythréenne débarque à l'heure pile et nous raconte les débuts du petit chien qu'elle a adopté tandis que Snoopy me regarde par en dessous avec son air de victime genre Le Chien de Columbo quand il réclame son Biscuit, donc la vie continue, mon palpitant refait des siennes mais là je vais me faire, calmos, le prochain épisode de Bosch où j'espère qu'on va passer les bracelets à l'affreux Carl Rogers et rendre justice à la petite Sonia Hernandez défuntée dans l'incendie criminel visant à déloger ces blattes d'immigrés, etc. (Ce lundi 2 août)

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