Les Années 1930 - ''La Grande Peur des bien-pensants'' de Bernanos

Publié le 08 août 2021 par Perceval

Quelques mois après leur retour, Anne-Laure de Sallembier reçoit Georges Bernanos à l'occasion de sa présence à Paris, pour la sortie de son dernier livre '' La Grande Peur des bien-pensants''.

Précédemment, sa mère avait offert à Lancelot les trois romans qui ont fait de Bernanos un écrivain reconnu , et pour le dernier, ''La Joie'', il reçut le Prix Fémina (1929) .

La lecture de ''Sous le soleil de Satan'' est de l'avis de Lancelot, celle qui l'a marqué le plus à cette époque. En effet, jusqu'à présent la littérature était fière d'affirmer une esthétique qui dépasse les contingences ( de Proust à Gide, Valéry...). Dans ce roman - ce qui enchantait Lancelot - de la boue d'un village d'Artois, d'un quotidien à « la solitude immense, déjà glacée, plein d'un silence liquide... »… surgissait le surnaturel. De plus, la question religieuse de la sainteté , n'était pas traitée dans une pieuse hagiographie, mais dans une traversée des maux d'une humanité inquiète. Satan, bien réel, n'est pas ici une figure de la sexualité, mais du désespoir .. Ici, le saint n'y est pas en paix. Ce n'est pas une mystique du salut et Donissan ne craint pas, même, de sacrifier le sien.

Bernanos prend le parti de la révolte, non de la morale des bien-pensants.

Des critiques regrettent que ce roman soit mal composé, sans voir en quoi celui-ci est novateur : ce qui prime ce n'est pas l'intrigue comme terrain d'expression de personnages, mais la question métaphysique : « le tragique mystère du salut » selon les mots de Bernanos.

Ce ''salut'' qui ne serait pas individuel, mais collectif... !

Pour l'heure, ''La Grande Peur des bien-pensants'' un recueil d'articles ; mais qui doit se lire comme un roman, est soutenu par Léon Daudet dans L'Action française du 28 avril 1931.

Dans ce livre Bernanos tient à nous faire partager son enthousiasme pour Edouard Drumont. Il serait une « Espèce de chevalier français » en croisade contre la IIIème République.

- Drumont s'en prend aux gens raisonnables, aux prudents ; il n'a pas craint les procès, les duels... Il est ingérable : c'est ce que j'appelle un ''enfant humilié '' : Humilié par les atrocités de la répression de la Commune. Humilié par le parti clérical, quand il s'est présenté aux élections de 1890... Un beau personnage de roman, qui ne surmonterait pas son désespoir...

- En quoi, un homme « aigri, revenu de tout », mort, pourrait-il nous intéresser, aujourd'hui ?

- Mon ami, sachez que lorsque votre mère vous mettait au monde, la lecture de Drumont faisait partie du bagage intellectuel de tout royaliste de l’Action française. Mon père, le soir nous lisait La Libre Parole ( le journal de Drumont)... Drumont semblait maudit, pourtant il s'est jeté dans la mêlée politique... Il est peut-être une énigme pour vous ; pour moi, depuis les tranchées, beaucoup moins... Autant les bien-pensants le rejetteront, autant je m'y intéresserai.

La pensée de Drumont n'est pas méthodique, comme celle de Maurras, elle est éruptive.

- Des nationalistes en France, ne craignent pas aujourd'hui de s'afficher ''fasciste'' – selon l'exemple italien – ou '' national-socialiste '' comme en Allemagne... Vous sentez-vous proche de Coty et sa campagne ''anti-juive'' ?

- Je dénonce la ''banque juive'' , c'est tout... ! Je dénonce notre élite conservatrice et son laïcisme républicain. Je hais l'injustice, la mauvaise foi, l'opportunisme... J'attends non pas des chemises brunes, mais des chevaliers ! Lancelot ! Tu vois bien ce que je veux dire.. ! ?

Drumont ,et moi avec ce livre je voudrais vous réveiller... Comme Drumont avec son livre '' La France juive '' ; d'ailleurs, son succès avait été immense. Il faut sauter à la gorge de la politique, de la finance...

- Je vous respecte infiniment ; j'entends très bien votre dénonciation... ; mais je ne vous suis pas, quand vous reprenez cette infâme rengaine de l'antisémitisme de Drumont qui accuse des gens qui se sont battus à vos côtés ; quand nous savons que Dreyfus, était innocent...

Je reviens d'Allemagne, et c'est comme si de Drumont, Hitler n'avait gardé qu'une chose, la haine et l'antisémitisme. En quoi, cette violence pourra t-elle abattre la dictature de l'argent ? En quoi, préfigure t-elle l'irruption du surnaturel, la radicalité du Christ ?

- Je ne veux abattre personne, individuellement. J'ai de la compassion pour chacun d'entre nous, jusqu'au plus vil... J'en veux à « la force immense, informe de l'argent »...

Ne succombez pas aux sirènes du pacifisme, une paix moderne qui annonce une ère d'esclavage, asservissement moderne de l'individu... Un monde sans mystique, un monde qui ne croit en rien, même l’Église s'est laissait corrompre par l'argent... Nous allons vers « l'Usine universelle, l'Usine intégrale »

Anne-Laure conclue cette discussion :

- Bernanos, vous revenez sans cesse à votre rêve d'enfant : une France chrétienne, aux valeurs chevaleresques... si éloignée de notre IIIème république !