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Le Temps imparti

Publié le 15 août 2021 par Jlk
Vernet2.JPG (Lectures du monde, 2021) À DISTANCE. – Je n’ai cessé, depuis mes treize quatorze ans, de fréquenter Paris, mais toujours à distance, et pendant les décennies que j’ai sévi dans la chronique littéraire, y revenant parfois chaque mois pour rencontrer des écrivains, je n’ai cessé de me tenir à distance de ceux-ci et plus encore du milieu littéraire, autant que de la paroisse romande, et relisant ces jours Illusions perdues je comprends mieux que, d’abord par instinct et caractère farouche, autant que par expérience de timide, je me sois tenu à l’écart sans nouer presque aucune relation amicale durable, à quelques exceptions près, dont mon cher François ; et je me rappelle alors nos bons moments fraternels avec un Alain Gerber et «la patronne», mais Alain à Paris faisait figure de sanglier des Vosges comme je restais le chevrier des hauts gazons helvètes; ou bien, par la littérature essentiellement, j’ai entretenu des liens suivis avec Pierre Gripari, flanqué de son compère Clergé, et avec Bernard de Fallois, suivi lui aussi d’une espèce de double en la personne de son ami Claude, tous en marge cependant de ce qu’on appelle le parisianisme, que j’ai toujours fui…Or je lis à l’instant, dans le dernier roman de Metin Arditi, cette sentence du marchand Mansour, mentor du jeune Avner, à savoir que « la distance est mère de toutes les sagesses », où j’entends, bien plus qu’une prudence cauteleuse, la précaution liée à ce que René Girard appelle la «médiation externe», qui caractérise le lien de deux amis unis par une même passion désintéressée, sans interférences mimétiques aiguisant les rivalités. Avec Alain il y avait, ainsi, la littérature et le jazz...Girard montre bien la différence de ces deux instances à propos de Don Quichotte, lié à Sancho Pança sous le régime de la « médiation interne », où la rivalité amoureuse ne cesse de troubler la relation des deux personnages, par contraste avec la complicité «chaste» entretenue par Quichotte et le Bachelier, partageant la même passion pour les romans de chevalerie.Comme le disait Saint-Ex en bon chef de la patrouille des castors littéraires, l’amitié (ou l’amour, je ne sais plus) ne consiste pas à se regarder mais à regarder ensemble dans la même direction, etc.images-5.jpegARDITI ET GIRARD. – Chose comique : après que, sur Messenger, j’ai fait remarquer à Metin Arditi que la triangulation mimétique était non seulement manifeste mais intense, entre certains des personnages de L’Homme qui peignait les âmes, et que cela intéresserait beaucoup un René Girard, dont je ne sais s’il l’a lu, il me répond que « le gars » qui lui envoie ce message est celui-là même qui l’a incité, un soir, à lire le Girard en question, dont Mensonge romantique et vérité romanesque l’a passionné, entre autres…Or cela me touche, comme chaque fois qu’une de mes admirations se trouve partagée et prolongée, dans ce que j’appelle «la bonne suite», de plus en plus rare aujourd’hui à ce qu’il me semble, et que je retrouve avec d’autant plus de reconnaissance avec un Quentin qui, de loin en loin, m’a incité à lire tel ou tel livre (le dernier étant celui d’Aurélien Bellanger) ou qui a lu tel ou tel autre livre que je lui ai conseillé, etc.Voilà ce qui m’attache en somme à quelqu’un: qu’il donne suite… LA POÉSIE EXORCISME. – Je disais à Lady L., l’autre jour, que je sentais en moi la possibilité du racisme, comme un réflexe viscéral qui ne doit rien à mon éducation – même si celle-ci en filtrait sans doute quelque chose des générations aînées, sans que rien n’en transparaisse faute, sans doute, d’occasions incarnées (je ne me souviens pas de la présence d’un seul Noir dans le quartier de notre enfance, ni dans nos classes et jusqu’au bac, dans les années 60), mais jamais je n’ai eu la moindre pensée ni le moindre geste raciste avec aucun des Noirs ou des Arabes que j’ai fréquentés, et c’est avec horreur et tristesse que j’ai revu hier soir Mississipi burning, auquel je repensais ce matin en me rappelant le poème de mon ami Bona, dans la plaquette du Songe de Leonora Carrington, qu’on pourrait dire un exorcisme de toute haine, ressortissant à la guerre des sexes ou aux conflits raciaux, au fil d’une grande métaphore rappelant ce que Michel Serres dit de l’hominisation à propos des fables de La Fontaine; et du coup je me suis dit que j’en ferai ma prochaine chronique en y associant ce que Montaigne dit de nos relations avec l’animal, où je citerai généreusement les vers magnifiques de mon frère congolais …223015929_10227209690654946_2693057616359712818_n.jpgDOLCE RIVIERA. - Beau moment d’insouciance radieuse à nous offert ce matin sur le quai aux Fleurs, Lady L. profitant (je déteste ce verbe autant que je déteste les profiteurs) de cette période de répit entre deux perfusions et leurs retombées parfois pénibles, tandis que défile la procession bigarrée des vacanciers de toute espèce et de tous âges, avec plein d’enfants et de pères-et-mères attentionnés, plein de baigneurs et de baigneuses dont l’une arbore des seins nus en forme de poires joliment brunes qu’un chenapan mordrait bien en passant, plein de petits chiens et leurs dames d’accompagnement, et voici passer majestueusement La Suisse, fierté de la Compagnie Générale de Navigation (CGN) résumant à merveille ce cliché d’un dimanche estival d’Assomption sûrement béni par la Dame éternelle et ses saints en pédalos. (Ce dimanche 15 août)

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