Gallimard, Collection Blanche, août 2021, 192 p., 6 ill., 18 euros
Ce roman au titre si poétique révèle le plan cul drague le plus original de la littérature française : infaillible pour qui possède le passe BnF pour la Grande Réserve des manuscrits historiques (il faut au minimum le grade de conservateur) et veut séduire une jeune comédienne entichée de Verlaine ! Une table de consultation de bonnes dimensions, des futons de lecture (ou berceaux : coussins à rouler autour des livres anciens pour les protéger) pour le confort des ébats ; je ne fais pas de dessin mais croyez-moi l'auteur s'amuse bien à décrire la scène et nous à la lire !
À défaut de dessin, chacun des hauts faits (et ils sont nombreux) de la geste amoureuse de Vasco (le personnage qui a des problèmes avec la justice) est ponctué d'un bout rimé, haïku, sonnet, ou quatrain, plus ou moins original, plus ou moins explicite, plus ou moins réussi !
Les poèmes de Vasco ainsi que quelques photos bizarres, pas très pro, sont versés au dossier d'enquête (!) sur une passion adultère (côté Tina) et mortifère (côté Vasco) ; ils en illustrent les débordements, les dérapages, les débuts, la fin.L'ami-confident de Vasco (aussi narrateur, également ami avec Tina — mais pas avec Edgar le mari, on s'en doute) les commente dans le bureau d'un juge d'instruction (que les lecteurs de Tanguy Viel reconnaîtront), après des faits que l'on imagine difficilement au début mais qui se révèlent de plus en plus surprenants jusqu'à la fin.
Il y a aussi un revolver (et quel revolver !) mais je ne peux pas en dire plus... (je rappelle qu'en cliquant/passant sur l'illustration de ce billet, vous pouvez lire la quatrième de couverture)
Évidemment tout ça n'est pas très sérieux, pas vraiment tragique, souvent burlesque.
Et surtout, le ton pince-sans-rire et faux-jeton du narrateur-écrivain et témoin de justice est irrésistible, tout comme ses digressions et pas de côté.
Il raconte, explique-t-il au juge : “ un amour fou, désespéré, romantique en diable et follement romanesque, ou complètement con — là-dessus les avis pourront être assez divergents ! ”
Derrière les bons mots, les variations virtuoses autour du “cœur”, les morceaux de bravoure (je ne dévoile rien exprès), les quasi fautes de goût (ce que je préfère), j'ai aimé imaginer le sourire gamin de François-Henri Désérable ; j'ai cru entendre ses “je les ai bien eus !” (les lecteurs ? les critiques ?), savoureuse revanche après son irréprochable et inoubliable (malheureusement sauf des jurys littéraires 2017) Monsieur Piekielny ; ses leçons moqueuses genre : “ça leur (aux lecteurs ? aux critiques ?) apprendra — mais pas sûr— à toujours vouloir confondre auteur et narrateur, fiction et autofiction, et à voir partout des hommages à la grande littérature”.
Et voilà, Mon maître et mon vainqueur, un roman divertissant, un roman-plaisir, joueur, construit avec malice, écrit avec élégance et brio.
Je m'aperçois que si j'avais fait une chronique de L'Anomalie l'an dernier j'aurais sans doute utilisé ces mêmes mots clé ! — les deux romans sont très très différents dans le fond comme la forme, mais le plaisir de lecture est du même ordre et aussi grand.
Et je suis pas peu fière de ne pas avoir utilisé les qualitatifs tant galvaudés : jouissif et jubilatoire...
> elles et ils en parlent aussi :
- [à compléter]
> sur ce blog, à propos de François-Henri Désérable et ses romans