Gaston Bergery (1892-1974), est pour Lancelot, de ces personnes, qu'il connaît de vue, puis qu'il salue après s'être croisés plusieurs fois; enfin qu'il rencontre avec plaisir et avec qui la discussion sur certains sujets s'engage facilement, avec intérêt parce que les divergences exprimées n'entament pas cette franche relation qui s'installe finalement entre Lancelot et ce radical un peu plus âgé. Froid, sûr de lui, il a tendance à faire la leçon ; et Lancelot se montre réceptif à ses avis qui tranchent des positions officielles....
Bergery fréquente les salons ; plutôt dandy et en concurrence de Drieu la Rochelle ; déjà marié deux fois ; il va épouser le 5 août 1934 Mlle Elisabeth-Charlotte Shaw-Jones, assistante de la créatrice de mode Elsa Schiaparelli.
On le craint, comme si on attendait de lui quelque grande surprise... Pour Drieu, c'est un ambitieux et un modèle pour son personnage Clérences ( Gilles)
Bergery était vers 1925, directeur du cabinet d'Édouard Herriot au ministère des Affaires étrangères. Ensuite il retrouve sa profession d'avocat, et sa spécialité en droit privé international l'amène à voyager. Devenu député radical en 1928 ; il est favorable à un rapprochement avec la SFIO. Il s'alarme du racisme et de la montée des idées fascistes. Le ''6 février'' est très grave et exprime à son avis l'inquiétude des classes moyennes ; cela plaide pour une réponse ferme en particulier des radicaux pour une unité de la gauche, parti de qui il s'est senti de plus en plus en décalage, au point de voter la défiance d'une majorité à laquelle il appartient, et finalement de quitter le parti Radical en 1933.... La SFIO de Léon Blum, lui semble tout aussi archaïque.
Il souhaiterait pouvoir refonder la république, revenir aux fondements de la Révolution française ; il rejoint en cela les ''non-conformistes'' des années trente.
Il tente de créer un mouvement qui promeut la justice sociale et s'oppose au fascisme. Il rejoint en novembre 34, George Izard et constituent ensemble le Parti frontiste.
Des universitaires ont été aussi fortement secoués par les émeutes du 6 février 34, Paul Langevin scientifique, enseignant et militant humaniste ; fonde avec Paul Rivet ethnologue militant et le philosophe Alain, pacifiste : Le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes ( CVIA).
Emile Chartier ( Alain est l'un de ses pseudos), est ce ''grand professeur'' du lycée Henri IV, dont on se dit fier d'avoir été son élève.
Tels, Guillaume Guindey , Raymond Aron, André Maurois, Simone Weil, ou Georges Canguilhem, un ami de Jean Cavaillès, pacifiste, qui adhère au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes.
Et, aussi, René Château, un ami de Bergery, dont on reparlera...
Après le 6 février 1934, Jeanne Alexandre et son mari, Michel Alexandre un ancien élève d'Alain, adhèrent au CVIA. Michel Alexandre est juif, ce qui dans ce contexte serait sans importance, la suite démontrera le contraire...
En 1934, Alain est proche de la retraite, il souffre de rhumatismes très douloureux. Pour l'heure, sa vision humaniste lui permet de défendre en même temps le pacifisme et l'anti-fascisme.
Pourquoi pacifiste ?
Chacun a en horreur ce qu'il connaît de la Grande Guerre. Préparer la guerre, ne peut qu’entraîner la fascisation des esprits, nécessaire pour soumettre l'individu aux exigences du combat.
Alain, persuadé de la force qui émane de la France, parie contre la fermeté vis à vis de l'Allemagne, contre la militarisation...
On dit que c'est après le 6 février 1934 que Drieu passa définitivement au fascisme.
Pour Lancelot, aussi, la soirée du 6 février 34, est un électrochoc : ce qui se passe en Allemagne, peut avoir lieu en France. Face aux difficultés financières, le slogan '' L'Allemagne paiera '' n'est plus crédible... et malgré l'antiparlementarisme ambiant ; la République n'est-elle pas en ce moment la seule garante de la démocratie... ?
L'interrogation de Lancelot, s'appuie sur la prégnance du discours fasciste en France, la montée des régimes totalitaires en Europe, la technicisation des réponses politiques qui feraient que le choix reviendrait à ceux qui savent ; en rejet si nécessaire des raisons d'un argumentaire humaniste.
Le communisme qui semble t-il, offre le cadre d'un engagement anti-fasciste, n'attire pas Lancelot. Première raison : le collectivisme qui asservit l'individu, et lui apparaît comme opposé aux valeurs humanistes. Le marxisme pose en valeurs : la production, le travail, le machinisme, supports d'une dictature techniciste.
Il ne s'agit pas de choisir entre une oppression de la part de quelques uns, ou une oppression de la part de la collectivité. Fascisme et communisme se rejoignent.
D'autre part, comme beaucoup de français, la peur du communisme provient de ce qui est appelé '' la cinquième colonne '' qui fait référence à une offensive guerrière où se rajoute aux colonnes attaquantes, celle - qui tel un cheval de Troie - attaque de l'intérieur : ce serait le rôle que l'on prêterait au PCF, inféodé au Komintern. L'URSS a deux objectifs, faire triompher la révolution en France, envenimer les relations entre la France et ses voisins jusqu'à la guerre, d'où son sa tentative d'exploiter la guerre civile en Espagne pour en faire un conflit européen...
Bertrand de Jouvenel, impressionné par cette révolte portée par les Ligues, se convainc de l'inefficacité des partis traditionnels. Il quitte le parti radical... Il propose, pour l'heure, un hebdomadaire La Lutte des jeunes, pour dénoncer la corruption du régime et servir les idées des ''non-conformistes'' ( de gauche ou de droite) vers un Etat à refonder... Vont y collaborer Jean Prévost, Henri De Man, Emmanuel Mounier, Robert Lacoste ou Pierre Drieu la Rochelle.
On y échange sur la planification et la régionalisation, le renforcement du pouvoir exécutif et un Conseil d’État en charge de la rédaction des lois... On imagine une Constituante puis un référendum. Ce serait une troisième voie entre les Ligues et le Front commun de gauche.
Lancelot est un peu dans l'état d'esprit exprimé par Emmanuel Mounier quand il dit qu'en créant la revue Esprit (1932) , il recherchait « un lieu où camper entre Bergson et Péguy, Maritain et Berdiaeff, Proudhon et de Man »
Chacun pensait que nous étions à la veille d'une révolution, ou du moins à l'entrée d'un monde nouveau ; et qu'il fallait conserver ce que Péguy avait défendu ; l'âme chrétienne, contre les puissances et « les violences d'argent ». Une révolution, pourrait-elle concilier le spirituel et le temporel ?
Déjà, la revue ' Esprit ' ( de E. Mounier), en janvier 34, rejette l'idéologie du parti national-socialiste d'Hitler, une doctrine irrecevable, raciste, une révolution où « le sang est le seul ferment de l'histoire », où la liberté et le ''destin personnel'' n'y ont pas leur place...
En avril 1934, Emmanuel Mounier écrit dans Esprit ; que s'il avait effectivement écrit '' ni droite - ni gauche '' ; il constate que des membres d'Ordre Nouveau qui partagent ce slogan, dérivent vers la Droite. Il constate aussi que à Gauche est le peuple qui vit ''les valeurs que nous défendons''.
Le Komintern puis le Parti communiste prennent conscience que le danger est, avant la social-démocratie, le nazisme. Aussi en juin 1934, le PC propose aux socialistes l'unité d'action, unité ouverte aux anti-fascistes et dons au parti radical... Maurice Thorez parle de Front populaire.