19h : Trois jours à peine après mon retour de vacances, je suis invité au quarantième anniversaire d’une amie ; c’est typiquement le genre de circonstance joyeuse qui aide à digérer la pilule de la rentrée. Mon hôtesse, heureuse de me retrouver, me serre dans ses bras : ça n’a l’air de rien, mais il y a un an, à la même époque, elle m’aurait encore refusé ce geste affectueux, pour cause de virus. Peu après, les autres invités arrivent : nous sommes huit plus le charmant bébé (un an à peine) de la nouvelle quadragénaire, et les « gestes barrière » restent sur le pas de la porte. Rien que pour ça, je peux affirmer que l’ambiance générale se bonifie…
19h45 : Alors qu’on a déjà entamé l’apéro, notre hôtesse nous en apprend un belle : on lui a refusé un emploi dans une mini-crèche sous prétexte qu’elle ne peut pas porter de masque chirurgical – étant asthmatique, ces masques l’étouffent en quelques minutes ! Encore une preuve que les mesures sanitaires renforcent les inégalités, y compris celles dont pâtissent les personnes en situation de handicap : rappelez-moi d’envoyer se faire foutre le prochain qui me dira que « c’est pareil pour tout le monde »…
Dimanche 5 septembre
10h : Malgré le soleil pétant, je décide de rester chez moi. Je n’ai aucune envie de sortir : j’ai déjà fait mon plein de grand air et de vitamine D pendant mon escapade sarthoise, je pète le feu, j’ai une folle envie de retrouver ma vie de créateur, il y avait longtemps que je n’avais pas été à ce point motivé pour écrire et dessiner. Je m’y mets sans relâche ni regret : de toute façon, les plages doivent être bondées et les vacances ne m’ont pas réconcilié avec la foule…
Lundi 6 septembre
19h : Ayant beaucoup travaillé la veille, je n’excluais pas de prendre mon lundi pour profiter de la plage et voir le film Kaamelott dans la foulée. Je n’en ai rien fait : une fois encore, j’ai démarré à fond la caisse et, motivé comme jamais, j’ai renoncé à tout projet de sortie pour me consacrer de tout mon être à mon œuvre ; j’aime les bains de mer et Alexandre Astier, mais tant pis, puisque je suis dans de bonnes dispositions pour entamer une des périodes les plus créatives de ma « carrière », autant en profiter.
14h : Toujours reclus dans mon atelier (qui est tout de même largement aéré), j’apprends le décès de Jean-Paul Belmondo. Je n’étais pas particulièrement fan de ses films, je ne suis même pas cinéphile, mais j’appréciais le personnage, justement défini par François Morel comme un « ancien jeune homme ». J’avoue donc que j’ai un pincement au cœur : c’est bizarre, parce que quand Alain Delon est mort, ça ne m’a rien fait ! Bon, ne pleurons pas, il n’aurait pas aimé ça, et puis à 88 ans, ça n’avait rien d’étonnant. Mais s’il avait pu me donner le numéro de Valérie Steffen avant de partir, je serais déjà moins triste !
Mercredi 8 septembre
9h30 : Ayant des courses à faire, je décide de me rendre à pied jusqu’à l’hypermarché et de ne prendre le bus que pour le retour. Chemin faisant, je croise deux travailleurs qui installent un panneau de signalisation routière : ça n’a l’air de rien, mais c’est du savoir-faire de ces humbles prolétaires que dépend notre sécurité quotidienne, beaucoup plus que des agents de police ! Regardez les faits : des routes où il n’y aucun accident en l’absence de tout policier, on en voit énormément, mais retirez les panneaux sur les mêmes routes, et vous verrez le bordel ! Et pourtant, je vous parie ce que vous voulez que les deux hommes que j’ai vus à l’ouvrage sont moins payés qu’un flic de base et qu’en dépit de ce que nous leur devons au quotidien (et non pas une fois de temps en temps comme pour les pandores), personne n’a l’idée de les honorer alors même qu’ils nous protègent plus efficacement que la police elle-même… Plus un métier est utile, moins il est payé.
11h : Alors que je croyais en avoir déjà fini avec mes emplettes, je suis obligé de retourner au rayon fruits parce que j’avais oublié de peser mes bananes. C’est déjà agaçant, encore heureux qu’il n’y ait pas grand’ monde, mais ce qui est vraiment pénible, c’est que le caissier semble incapable de tendre le bras : alors que je suis au bout de la caisse, il me fait signe (il ne me le demande pas verbalement alors que même un chien a le droit à des mots) de revenir devant lui pour lui présenter ma carte du magasin, pour payer et pour retirer le ticket de caisse. Je croyais pourtant que la consigne était de garder ses distances ? Trois petits allers-retours pas spécialement fatigants, loin s’en faut, mais tout de même fastidieux quand on a hâte de partir ; alors de deux choses l’une : ou bien ce caissier a un handicap qui l’empêche effectivement de tendre la main au-delà d’une distance très restreinte, ou bien il est tout simplement fainéant, et vu ce qu’il doit être payé, je ne lui reprocherai certes pas de ne pas se fouler, mais il n’empêche que c’était la première fois que je réglais mes achats à une caisse tenue par un homme et je pense que je vais rester fidèle au beau sexe à l’avenir…
11h30 : Retour à Lambézellec : je fais un crochet à la boulangerie et je vois qu’il y a trois policiers en tenue à l’intérieur ! Ils sont seulement venus s’acheter des sandwichs, mais j’hésite tout de même à entrer : il s’est déjà trouvé deux chauffeurs de car et un médecin pour me reprocher de porter un masque transparent qui, paraît-il, ne filtre pas l’air (entre nous, si c’est vrai, ça tombe bien, je ne me contente pas d’air filtré, j’ai besoin de respirer à pleins poumons le vrai bon air de ma région bien-aimée), alors est-ce qu’un flic ne serait pas dans son droit en me dressant un procès-verbal ? Je préfère attendre que les trois perdreaux soient sortis, mais la boulangère me fait signe que je peux entrer alors qu’il en reste encore un : je prends le risque… Et le policier ne me dit rien. J’en conclus une chose : les représentants de l’ordre sont souvent difficiles à vivre, mais ils ne le seront jamais plus que ceux qui prétendent faire leur boulot à leur place !
20h : Rien à signaler, j’ai à nouveau passé la journée à dessiner sans relâche.
Vendredi 10 septembre
9h : Je vais faire mon marché. Je ne mets pas de masque et personne ne me fait de remarque, je note même que mon cas n’est pas isolé. Impossible de savoir si nous sommes en infraction, il n’est écrit nulle part que nous sommes tenus d’être masqués : de toute façon, il n’y a ni policier ni « médiateur » pour nous faire la leçon. Malgré la pluie fine qui tombe déjà, je la sens bien, cette journée…
9h30 : De retour à mon immeuble, je relève mon courrier (même ça, je ne l’avais pas fait hier) et je découvre le dernier Fluide Glacial hors série consacré aux monstres. Le « fluidosaure » Thiriet est en grande forme ; au sein de la nouvelle génération, je craque particulièrement pour Prieur & Malgras, un duo qui me rappelle Alexis & Gotlib ou, plus près de nous, Bertail & Le Gouëfflec : un dessinateur « réaliste » qui met son style académique au service d’un scénario délirant, ce n’est pas si fréquent… De surcroît, Prieur et Malgras revisitent à leur façon la mythologie grecque, ce qui est à leur honneur : il n’y aura jamais trop d’œuvres mettant la culture antique à l’honneur. Cela dit, il me semble que les humoristes actuels ont de plus en plus tendance à se tourner vers l’Histoire, comme si notre époque ne les intéressait plus…
10h : La poste de mon quartier est en travaux, je profite donc d’un passage en centre-ville pour affranchir un courrier de grande dimension dans un bureau du haut Jaurès. Un agent de sécurité (un flic privé, si vous préférez : c’est comme un vrai policier, mais en pire) bloque l’accès parce qu’il y a déjà trop de monde à l’intérieur mais apporte quand même à la personne qui est devant moi le document à remplir pour envoyer un recommandé ; celle-ci ne peut s’empêcher de grincer : « Et je m’appuie sur quoi pour le remplir ? » Je suis à deux doigts de lui proposer de le faire sur mon dos ! Mais il parvient à le faire sur son portefeuille, et heureusement : je ne suis pas sûr que le flic privé m’aurait laissé faire, il m’aurait probablement reproché de ne pas respecter les « gestes barrière » et gnagnagna. Devant cette situation absurde, j’en viens presque à regretter qu’on ne demande pas le pass sanitaire à l’entrée des bureaux de poste…
12h : Pause déjeuner sur la terrasse d’une crêperie, l’occasion d’utiliser mon pass sanitaire pour la première fois. Certains pourraient s’étonner de me voir manger dehors alors qu’il ne fait pas si chaud que ça, mais depuis la révélation que j’ai eue en rentrant de vacances, j’évite autant que possible de rester enfermé ; de surcroît, en s’installant directement en terrasse, pas besoin de sortir le masque… De toute façon, je ne suis pas le seul : d’autres clients préfèrent rester dehors, dont une dame assez âgée qui essaie de converser avec moi. Je résiste car j’ai envie qu’on me fiche la paix, mais elle s’accroche… C’est désormais sûr : j’ai une bouille qui n’inspire pas le respect. Qu’est-ce que je pourrais faire pour ne plus être perçu comme la providence des gens seuls ?
13h30 : Rendez-vous au Béaj Kafé avec une collègue. Une fois que nous avons présenté nos pass sanitaires, nous sommes autorisés à enlever nos masques, même avant de nous asseoir ! Dans un sens, c’est logique : je ne sais pas si tous les établissements font la même chose, je dirais même que ça m’étonnerait beaucoup, mais en tout cas, puisqu’on m’autorise à tomber le masque, je ne m’en prive pas ! Pour moi, c’est une petite victoire sur cette invention maudite…
16h : Rentré depuis une heure, je travaille d’arrache-pied pour mon premier cours d’histoire de la BD qui approche à grands pas. Ayant besoin d’un renseignement précis, je me rends sur le site bdoubliees.com… Et c’est comme ça que j’apprends la mort du scénariste Raoul Cauvin, survenue le 19 août. Voilà où ça mène de se couper du monde : j’ai raté la mort d’un auteur qui a bercé mon enfance. Bon, je sais : comme souvent chez les auteurs très productifs, il y a quelques déchets dans son œuvre, mais il y a aussi des merveilles, et je ne me pardonne pas d’être passé à côté de son décès. Parmi toutes les séries qu’il a créés, j’ai un faible pour L’agent 212, avec ce policier si bête qu’il en devient sympathique : et pour me faire éprouver de la sympathie pour un flic, il faut beaucoup de talent !
12h : Après un bref aller-retour à Guilers, je casse la graine avec un cornet de frites. Curieusement, à la friterie, on ne m’a pas demandé mon pass sanitaire : est-ce parce que j’avais précisé « à emporter », parce que le personnel n’est pas équipé ou tout simplement parce que la maison, comme beaucoup de restaurateurs, n’a aucune envie de fliquer ses clients ? Toujours est-il que je bivouaque sur la place de la Liberté, ce qui me permet de voir deux jeunes mariés sortir de l’hôtel de ville sous les acclamations de leurs proches… Ce spectacle réjouit l’œil, non seulement parce que c’est une belle vengeance sur tous ces mois sans plaisir mais aussi parce que le couple est mixte : un homme blanc et une femme noire. Exactement le type d’image du bonheur que Zemmour et ses électeurs voudraient voir disparaître, pas seulement parce qu’ils sont racistes mais tout simplement parce qu’ils sont imperméables à l’amour…