Elaine, bien que souvent fatiguée, continue ses occupations de critique littéraire, et avec plus d'assiduité que Lancelot à fréquenter le cercle des Maritain ; elle les ressent plus libres depuis qu'il se sont écartés de l'Action Française. Elles leur est aussi reconnaissante de ne pas la juger, lors des pénibles démarches de son divorce...
Jacques Maritain rejoint souvent les propos de Mounier dans Esprit ; ainsi quand il défend la primauté du spirituel, en ajoutant la personne humaine comme valeur centrale. Le groupe social doit se mettre au service de la personne et non l'inverse. Le chrétien doit retrouver le sens de l'Incarnation, et s'engager dans l'humain, dans l'universel...
Ces chrétiens, en concordance avec ceux qui entourent Henri Daniel-Rops, par exemple, ou Berdiaeff, et même ceux de l'Ordre Nouveau ; tous dans leur critique du matérialisme, imaginent une ''troisième voie''. Ne pourrait-on pas l'imaginer chrétienne, puisque l'humain n'y ai pas qu'un citoyen, ou qu'un producteur... ? L'Humain d'abord, face aux monstres que sont l'Etat, la Race ou la Masse.. !
Nicolas Berdiaeff, connu pour son ouvrage '' Pour un nouveau Moyen Âge'', y rappelait que la Renaissance à supplanté l'homme spirituel, par l'homme naturel sans Dieu... Aujourd'hui l'homme économique ne rêve que de l'égalité qu'il trouve dans la masse du collectif ; le fascisme ne propose plus comme légitimité que la force...
Lancelot reprend une discussion déjà initiée, pour mieux comprendre sa vision si peu en accord avec notre République laïque...
Berdiaeff constate que la Bourse a remplacé l'Eglise, et propose un corporatisme en remplacement du capitalisme : - « le nouveau Moyen-âge sera démotique. »
- C'est à dire... ?
- Quand vous imaginez la place du peuple, dans une perspective de pouvoir, c'est la démocratie...
J'imagine d'abord une société qui satisfait les besoins spirituels et matériels du peuple. Quand au pouvoir, il ne peut pas appartenir au grand nombre... Dans la République, le pouvoir appartient à une poignée de bourgeois désignés par les partis...
- Et si ce n'est pas la République, c'est … ?
- Une monarchie, pourquoi pas... ; non pas « environnée de castes, mais d'organes professionnels et culturels, unis dans une structure hiérarchique. »
- « Il n’est pas nécessaire d'idéaliser le Moyen âge, comme l'ont fait les romantiques. Nous savons très bien quels sont les aspects négatifs et vraiment ténébreux du Moyen âge : la-barbarie, la grossièreté, la cruauté, la violence, le servage, l’ignorance dans le domaine des sciences positives de la nature, une terreur religieuse rythmée sur l’horreur des souffrances infernales. Mais nous savons aussi que les temps médiévaux furent éminemment religieux, qu’ils allaient entraînés par la nostalgie du ciel, que celle-ci rendait les peuples comme possédés d'une folie sacrée; nous savons que toute la culture du Moyen âge était dirigée vers le transcendant et l'au delà et quelle devait à une haute tension de l’esprit - son orientation vers la scolastique et la mystique, à qui elle demandait de résoudre les problèmes suprêmes de l'être; les temps médiévaux ne prodiguaient pas leur énergie à l’extérieur, mais ils préféraient la concentrer à l’intérieur : : ils ont forgé la personnalité sous l'aspect du moine et du chevalier. »
- Le catholicisme a eu la prétention d'imprégner toute la culture de son esprit religieux et il a lamentablement échoué. N'est-ce pas parce qu'il a échoué que le monde s’est détourné du Christ et de sa loi ?
- Est-ce le christianisme qui a échoué, ou l’homme qui a manqué à « sa tâche, à la haute mission que le Christ lui avait confiée. C’est l’élément humain dans l’Eglise qui a trahi la Vérité chrétienne. Contre la décadence de cet élément humain , l’indignation eut été permise et juste. Mais on est allé plus loin. On s'en est pris à l’Eglise et à toutes les choses authentiquement saintes qu’elle contient : au Christ et à sa loi. »
- De toute manière, le Royaume de Dieu, ne concerne t-il pas l'après-vie ?
- Le christianisme concerne également notre vie d'ici-bas... Et ce n'est pas seulement l’affaire du Christ, c'est aussi l'affaire de l’homme. Il s’offre à l'homme une immense liberté, et un combat dans lequel il doit engager les forces de son esprit. Dieu lui-même, si l’on peut dire, attend de l’homme son apport créateur. « Mais, au lieu de se tourner vers Dieu et de lui consacrer, la libre surabondance de ses forces, l'homme a dépensé et détruit son énergie vitale dans l’affirmation de soi-même, en gravitant sur la périphérie des choses. Aujourd’hui il n’y a pas de salut, sinon par un retour vers Dieu. Toute la culture - la philosophie, la science, l’art, la morale, l'économie, la politique - doit redevenir religieuse et sacrée. Dans le Nouveau Moyen âge, l’Eglise redeviendra le centre spirituel de l’univers. Car l’Eglise ce n’est pas seulement l'humanité christianisée. Elle est cosmique par sa nature et en elle, rentre toute la plénitude de l’Être ; l’Eglise c’est le cosmos christianisé. Ceci doit cesser d’être une vérité théorique et abstraite pour devenir une vérité vivante et agissante. Au lieu de confiner la religion dans les temples et les sacristies, d’en faire, comme on dit : une chose privée, il faut au contraire lui donner accès au large monde, pour qu’elle vivifie et transforme tout le créé. La religion des temps modernes était devenue une partie distincte de la culture, une sorte de spécialité comme l’économie politique, où l’élevage des vers à soie. On lui avait réservé une place séparée et assez mesquine dans l'encyclopédie du savoir. A nouveau, elle doit devenir tout - une force illuminatrice et transfiguratrice de toute la vie par l’intérieur - elle doit, force spirituelle libérée, transfigurer la vie totale. »
- Le communisme n'a t-il pas aussi ce projet de société future idéale ?
- Le communisme n’y croit plus. Il saccage tous ces idéaux humanitaires. Il est hiérarchique à sa manière et autoritaire; il est d'essence religieuse. C’est une croyance, une foi, une religion, mais une religion satanique, dans laquelle toutes les vérités chrétiennes sont bafouées... D'ailleurs, toutes les fleurs et tous les fruits de la Renaissance humaniste sont également foulés et détruits.
Sources : '' Un Nouveau Moyen-âge'' de Nicolas Berdiaeff