En mémoire d'E.
En ces lieux loge encore un dieu, qui nous était apparu ce matin-là dans un nimbe de lumière fraîche et de tonitruante écume…
Nous avions déjà marché plus de deux heures sur le chemin suspendu, depuis l’alpe verrouillant l’amont de la vallée au pied des cols de neige, nous étions tous deux silencieux et comme enivrés par les parfums de la prairie en gloire, et dans la rumeur latente des eaux de fonte il nous avait paru déceler une voix plus grave, plus forte et se rapprochant, lorsque, au tournant d’un éperon de rocher, nous a saisis soudain la même stupeur pour ainsi dire sacrée devant la chute verticale du torrent auréolé de formidables étincelles d’eau et traversé de rayons lumineux, qui semblait tomber du ciel même et tonner, ou rugir en fauve écumant, ou mugir des hymnes, comme un personnage évoquant je ne sais quelle mythologie himalayenne – oui, c’est cela : c’était le dieu-torrent, et longtemps après que nous eûmes repris notre chemin cette présence nous a hantés tous deux, ainsi que nous nous le sommes rappelés le soir dans l’auberge où nous évoquions nos vies en éclusant une Dôle de Salquenen à la robe de velours grenat douce au palais...