15h : Profitant d’un rayon de soleil, je descends au bois de la Brasserie pour lire en plein air. Tout à coup, je vois débarquer trois types qui ont l’air tout droit sortis d’un reportage de TF1 sur l’insécurité : casquettes, survêtements, baskets bon marché, accent de banlieue et deux pit-bulls pour les accompagner. Et bien saviez-vous ce qu’ils venaient faire, ces cocos-là ? Organiser un combat entre leurs molosses ? Fumer des pétards ? Rançonner les promeneurs ? Ou, plus simplement, s’entraîner pour une « battle » hip-hop ? Rien de tout ça ! Ils venaient tout simplement… Jouer à la pétanque ! Quand à leurs clébards si effrayants, ils n’aboient même pas ! Alors, vous, les « braves gens », cessez d’avoir peur des « cailleras » : ils sont aussi cons que vous, mais pas plus !
Lundi 13 septembre
20h : Au terme d’une nouvelle journée laborieuse passée reclus dans mon appartement, je me décide à dîner. Fidèle à ma nouvelle « philosophie », j’ai laissé les fenêtres ouvertes, de sorte que je ne rate rien du bruit que font les enfants du voisin d’en face dans le jardin. Prenant conscience de l’heure qu’il est, je réalise que jamais mes parents, quand j’avais l’âge de ces gosses, ne m’auraient laissés dehors si tard, surtout en semaine et en période scolaire. C’est à des petits riens comme ça qu’on voit à quel point la condition des enfants a évolué en quelques années ! Mais je me garderai bien d’exprimer le moindre jugement à ce sujet : après tout, je ne peux pas dire que l’homme je suis devenu fasse de l’éducation que j’ai reçue un modèle absolu…
11h : J’effectue quelques achats urgent à l’épicerie Vival (une franchise de Casino) située à deux pas de chez moi. Au moment de payer, la caissière me demande si je veux du raisin : devant ma mine déconcertée par une telle offre, elle m’explique qu’on arrive à la fin de la saison et qu’ils préfèrent donner ce qui reste au lieu de le jeter. Ce n’est pas souvent que les commerces nous font un cadeau, et puis agir ainsi est toujours plus intelligent que jeter des produits consommables pour ensuite faire mettre en prison les SDF qui les récupèrent dans les poubelles… J’accepte donc ce bonne grâce, mais je me dis que si la grande distribution s’engage sur cette voie, les restos du cœur vont porter plainte pour concurrence déloyale !
15h : En plein remaniement de mon cours d’histoire de la BD francophone, j’entends une femme, au pied de l’immeuble, qui crie littéralement dans son portable. Déjà qu’il faut les supporter dans les transports en commun, voilà qu’ils viennent nous casser les oreilles juste en bas de chez nous ! Excédé, une fois qu’elle a raccroché, je me mets à la fenêtre et je lui crie : « Merci, votre vie personnelle me passionne ! Vous ne pouvez pas aller gueuler ailleurs ? » Je vous passe ce qu’elle m’a répondu… Je sais bien que je ne devrais pas agir ainsi, que c’est le plus sûr moyen de me faire des ennemis et, à terme, me faire casser la gueule… Mais avouez que l’incivilité n’a plus de limites : ce n’est pas comme ça que je voyais le rapprochement des humains que nous promettait l’avènement du portable…
16h : Pour illustrer mon cours, j’utilise volontiers, outre des cases de BD, des portraits de grands auteurs qui ont marqué l’histoire du 9ème art ; ainsi, les étudiants pourront mettre un visage sur les noms que je cite. Inévitablement arrive le tour du grand Greg, créateur d’Achille Talon et d’innombrables autres héros, ce scénariste de génie qui a travaillé avec les plus grands dessinateurs (Hergé, Franquin, Tibet, Derib, Hermann, Dany et j’en passe) et qui fut, en tant que rédacteur en chef du journal Tintin, l’artisan du second âge d’or du magazine. Et bien vous savez quoi ? Quand je tape « Greg » sur Google images, je tombe sur des photos d’un bellâtre qui passe dans les émissions de télé-réalité débiles – un pléonasme, excusez-moi. Je n’aurai qu’un mot : bof…
Mercredi 15 septembre
11h : Bref passage à Guilers pour récupérer quelques bricoles dans la maison de mes parents (toujours en villégiature en Sarthe) : j’ai ainsi l’occasion de croiser une vieille amie de mes géniteurs, qui fut pour l’enfant que j’étais ce que fut pour Amélie Nothomb, toutes proportions gardées, sa nounou japonaise. Bien sûr, je m’arrête pour lui faire la conversation et alors il se produit quelque chose d’inespéré : elle me laisse lui faire la bise ! Ça n’a l’air de rien mais, il y a un an à la même époque, elle aurait encore préféré l’éviter ! Je dirais bien que c’est un signe que l’ambiance se bonifie, mais dans le cas présent, ce n’est pas tout à fait vrai : certes, cette dame est désormais vaccinée et moi aussi, mais il n’est pas inutile de préciser qu’il y a quelques mois, on a diagnostiqué un cancer de la gorge à son mari : il n’en faut pas beaucoup plus pour relativiser la dangerosité du Covid…
14h : Rentré au bercail, je relève mes mails : j’apprends qu’il me reste quelque jours pour dépenser à la Fnac l’avoir que j’ai accumulé grâce à mes achats et dont le montant s’élève à… 60 euros ! Un instant étonné, je fais le rapprochement avec les emplettes que j’ai été contraint de faire récemment auprès de cette enseigne : je n’avais pas d’autre alternative, il fallait que j’achète du matériel, et j’avais bien dû acquérir pour 600 euros de marchandise, une sacrée dépense étant donnés mes revenus ! Bref, au final, cet avoir de 60 euros, c’est bien la moindre des compensations ! Quand c’est bien, il faut le dire…
Jeudi 16 septembre
9h50 : J’ai rendez-vous avec un collègue artiste qui habite non loin de la Place Guérin : celle-ci semble avoir retrouvé son animation d’avant le Covid, avec ses bistrots, ses joueurs de pétanque et, pourquoi le taire, ses inévitables zonards. Vivement que la foire aux croûtes puisse à nouveau avoir lieu… Je croise un familier de la place, un peu plus classe que la moyenne, et que je connais par ailleurs : il me salue assez froidement et je ne serais pas étonné que mes dessins et déclarations sur les anti-vaccins y soient pour quelque chose. Tant pis pour lui, je persiste et signe : en ce moment, la pandémie recule, et à quoi le doit-on si ce n’est pas à la vaccination ? Non, il n’est pas le genre de type à me répondre que c’est grâce à Dieu !
10h20 : Avec mon ami artiste, nous descendons la rue Jean Jaurès afin d’aller à la rencontre d’une restauratrice qui, selon lui, pourrait être intéressée par une exposition de mes travaux dans son établissement – je ne peux négliger aucune piste. Chemin faisant, j’ai la confirmation de ce que je redoutais hier : le port du masque est à nouveau obligatoire en centre-ville. Mais mon compagnon et moi-même décidons de passer outre : nous sommes vaccinés tous les deux, nous ne voyons pas l’utilité de cette mesure dans notre département qui est resté le moins touché par l’épidémie surtout à une heure où celle-ci reflue, nous en avons marre de nous priver du bon air de notre région bien-aimée et, de toute façon, ce n’est pas avec le peu de monde qu’il y a dehors à cette heure-ci que nous risquons la contamination ! Il ne faut pas confondre le Haut-Jaurès et les Champs-Elysées : ce n’est pas plus beau, mais c’est moins fréquenté !
13h30 : Je me repose un peu avant de reprendre le boulot et je re-feuillette La différence invisible, ce qui me permet de découvrir quelque chose : j’étais persuadé que le gel hydroalcoolique avait fait son apparition avec le Covid, et je vois qu’il était déjà connu en 2016, date de la parution de cette BD ! Ce qui veut dire que l’obsession hygiéniste était déjà d’actualité quatre ans avant la pandémie, autant dire le terrain était déjà prêt, à l’époque, pour que la paranoïa s’empare de l’humanité dès l’apparition d’un nouveau virus un peu virulent… Je ne dis pas ça pour la boulangère de l’histoire qui souffre de troubles obsessionnels compulsifs : à la limite, c’est une raison supplémentaire pour ne pas accabler ceux qui, comme elle ou comme moi, vivent avec des « troubles », puisque la majeure partie de nos semblables ne sont pas mieux lotis ! La seule différence, c’est qu’ils n’osent pas l’avouer…
Vendredi 17 septembre
10h : Au marché, la fromagère me dit qu’il faut mettre le masque : ne voulant pas compromettre mes relations, qui sont plutôt bonnes pour l’instant, avec cette commerçante, je m’exécute à contrecœur, mais une fois que je m’éloigne de son stand, je baisse le masque. Quand j’arrive au stand de la charcuterie, je vois qu’il y a la queue : échaudé par l’injonction qui m’a été faite, je décide de mettre mes boules Quiès pour ne pas avoir à supporter les conversations des autres clients. Et oui, le bruit est pour moi une nuisance plus insupportable que tous les virus du monde, surtout si la présence de ceux-ci est de l’ordre de l’hypothétique : je ne sais pas si le méchant Covid est là, mais je sais que le brouhaha des braves gens est bien là, et c’est à cette nuisance qu’il me parait plus urgent d’échapper ! Bien sûr, quand vient mon tour, lorsque le charcutier me voit sans masque et retirant les boules de mes oreilles, il me regarde d’un sale œil : il doit penser que je suis un incivique et un associal, mais ça, j’en ai l’habitude depuis l’enfance… En revanche, ce à quoi je ne m’habituerai jamais, ce sont les plaisanteries sur le masque : en moins d’une demi-heure, j’entends deux fois la même vanne, proférée par un personne différente, sur le « sourire » de la vendeuse masquée que l’on percevrait quand même grâce aux yeux ; une chose est certaine : une même blague que l’on entend à deux reprises dans un laps de temps aussi court est FORCEMENT nulle, lourdingue et dépourvue d’originalité. Voilà pourquoi j’ai toujours mes boules antibruit à portée de main quand je sors : parce que la connerie est plus contagieuse que n’importe quel virus…
14h : Je me remets à ma planche à dessin, bien décidé à me passer le même DVD qu’hier. Surprise : il met beaucoup moins de temps à démarrer. Je n’en tire pas de conclusions sur le fonctionnement du lecteur, mais je me dis quand même que toutes ces années de recherche et de développement technologique pour en arriver finalement à des appareils qui demandent à être « rodés » comme les premières automobiles… Enfin, vous m’avez compris.