Magazine Talents

L'incroyable victoire des cachalots

Publié le 10 août 2021 par Les Alluvions.com

Alors que j'ai déjà bien du mal à ne pas me perdre dans le dédale de connexions suscité par  l'aventure de Thomas Jones, dans le Saisir de Jean-Christophe Bailly, ne voilà-t-il pas qu'un autre fil a surgi ces derniers jours, que je ne puis négliger car il se trouve qu'il fut en d'autres temps longuement au centre de ma réflexion, et que par ailleurs ces deux fils ont fini par converger, rendant la toile encore plus inextricable. Ce que je dis là est bien sûr peu clair, et je vais tenter de démêler tant soit peu l'affaire, mais il y a fort à parier que je n'en viendrais pas à bout en une seule chronique. Bref, nous voilà partis pour une enquête au long cours. Partons donc du jour ou, pour être plus précis, du soir où tout cela a commencé.

Nous étions, ma compagne et moi, en visite chez le Baroudeur, en ermitage dans sa campagne profonde du Boischaut Sud, bien occupé à peaufiner sa thèse sur les savoirs traditionnels et l'automédication des éléphants au Laos (non, ce n'est pas une plaisanterie, comme en témoigne la vidéo en lien ci-dessus). Le Vicomte nous a rejoints pour les libations vespérales et seule une légère averse nous a contraints à finir nos verres dans l'intérieur rustique dudit Baroudeur. Connaissant la passion de ma douce pour les cétacés, orques, baleines et autres cachalots, il avait mis de côté un livre au titre déjà assez étonnant, écrit par un certain Alain Sennepin, "spécialiste des bêtes sauvages" (est-il écrit en quatrième de couverture (il s'intéresse aussi au tigre, comme en témoigne son blog sur le retour du fauve en Europe)). 

L'incroyable victoire des cachalots

J'ai trouvé plus tard, une fois revenu à la maison, cette présentation du livre par l'auteur lui-même sur le site de Causeur. Autant vous dire tout de suite que je n'ai guère été convaincu (pas plus que le Baroudeur) par la thèse centrale, à savoir que les cachalots aurait en somme mené une guerre coordonnée contre les navires baleiniers, une "véritable « Première Guerre du Pacifique » d’avril 1820 à janvier 1862". C'est un fait avéré que certains bâtiments ont été coulés sous les coups de boutoir des cachalots, ainsi l'Essex a-t-il fait naufrage le 20 novembre 1820 à la suite de l'attaque d'un grand mâle, mais Sennepin va plus loin en soutenant l'idée que les cachalots se sont stratégiquement entendus pour mener  une guerre d'usure à la flotte baleinière américaine. Il évoque "un véritable « iceberg stratégique », à vocation essentiellement défensive et protectrice, pleinement fonctionnel à l’orée des années 1820. Les destructions de navires, dont le nombre explose à partir des années 1830, dissimulent au regard des baleiniers le cœur du dispositif cétacéen".

Cela amène l'auteur à reconsidérer la contribution à cette histoire d'Herman Melville (qui s'inspira effectivement du naufrage de l'Essex) : "Son roman Moby-Dick, publié en 1851, est le récit d’une défaite qui vient d’advenir. Légende des légendes, mythe fondateur des États-Unis d’Amérique, monument d’architecture littéraire aux étranges reflets marmoréens, il met en lumière la partie immergée de l’Histoire, la face cachée du Monstre. Il est le miroir de la Première Guerre du Pacifique, dont on peut retrouver intégralement les principaux épisodes et acteurs."  

Ayant ici beaucoup écrit autour de Moby Dick, il va sans dire que je fus intrigué par cette vision nouvelle de ce livre majeur, aussi ai-je lu dès le lendemain l'essai d'Alain Sennepin. Sans partager, je l'ai dit, sa thèse centrale, je recueillis néanmoins des vues dignes d'intérêt, et surtout il me fit connaître la stimulante étude d'Emmanuel Lézy, géographe*, maître de conférences à l’université Paris X – Nanterre, « La Saison et la ligne » ou Moby-Dick, une leçon de géographie métisse

C'est cette étude, seize pages seulement mais d'une richesse énorme, que je me promets d'explorer dans une autre chronique à venir.

___________________

* C'est la seconde fois en peu de temps que nous croisons la route d'un géographe. Pour Thomas Jones, c'était Alexis Metzger (dont je vois qu'il a publié en 2018, L'hiver au Siècle d'or hollandais : Art et climat, Presses de l'Université Paris-Sorbonne).

L'incroyable victoire des cachalots


 


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Les Alluvions.com 1432 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine