Mexico DF
Corteggiani
c’est mon nom à moi
d’écorce et d’anis et
de cortège à moi tout seul
comme dans la nuit la stroboscopie d’ombres d’un
homme contre un mur dénombré
par les phares d’une voiture soudaine et dans l’instant
crépitante fixe
des Corteggiani il y en eut beaucoup
mais l’onomastique ça n’était pas leur truc nomás
et puis ils n’avaient pas le temps
ils comptaient au sou près
pour hisser leurs petits
un peu plus haut qu’aux épaules
de sorte que pour solde de tout compte
ils partaient en disant
« Tout est fini, tout est bien »
Je sais bien ce qu’aurait dit le cortège des anciens
bergers de Ghisoni de Calenzana de Ghisonaccia compteurs
de troupeaux
débardeurs de la Joliette compteurs de balles et de billots
amasseurs compteurs
scrupuleux compteurs
asservis compteurs
je sais bien ce que vous auriez dit vieux cortèges durs à cuire
« Les mots, on leur fait dire n’importe quoi »
Corteggiani ça n’était pas une sinécure, à mon père on disait
Courte Jambe, corta ghjamba, moi j’y entendais courtisan,
cortighjanu, c’est-à-dire lèche-cul, j’aurais préféré de toute
façon un nom qui claque, du genre Jack Flash, ou Jim Track,
à la rigueur Li Peng
pour moi c’était plus simple et sans accroc de m’appeler MON
NOM
de gauche à droite et vice versa
mon nom
je m’y regardais
à l’envers et pourtant tel quel
et ça glissait comme du yo-yo
et le sommeil venait sans peine dans ce balancement
à l’école tout devient aisé, on m’a fait une place dans une liste
je suis le neuvième pendant toute l’année sauf si l’un des huit
huitièmes attrape l’escarre latine ou récolte les oreillettes ou
chope la varicelle si c’est une fille
comme les choses allaient de soi
j’étais là j’avais ma place entre Célarieux et Dominici
le premier disait « C’est là »
le second « Reste ici »
Corteggiani Bernard
c’était moi
personne n’avait de doute là-dessus
et moi non plus
mais voilà que je ne suis plus très sûr
Matehuala Tenancigo
Moctezuma Tlacotepetl
Chiquihuite Chilpancingo
Acayucan Citlaltépetl
mon nom nomade il faudrait que je l’acclimatl
que je le dépiautl
CorteGGiaNi
« ¿ Dos G ? — Así es.
¿Y una N ? — Exacto. »
(seulement quand je me présente)
Escuinapa esquina con
Tejemanil Ozuluama
Anacahuita Xochicalco
Tecualipan Moctezuma
« ¿Hernán ? — Así es.
¿Cortés ?— Correcto. »
dites au taxi que Hernán Cortés
pantalon noir chemise blanche
l’attend à l’angle de Tlaxcala et de Taxco
(quand je suis fatigué seulement)
Nezahualpilli Yautepec
con Tepalcatitla Temoc
et du tac au tac Anahuac
Huitzilopoxtli Xoloc
Hernán, pas Bernard, pas Bernardo non plus
non je ne connais pas ce monsieur Zorro
—alors son serviteur vous pensez
non n’insistez pas
il ne manquerait plus que ça
que je tombe
(muet)
Raphaël Laiguillée, « Reprendre pied avec la banane », Reprendre pied, poèmes, Éditions Gallimard 2021, pp.81,82,83,84,85. Prix Max-Jacob 2021.