Lancelot, et il n'est pas le seul, est étonné de la conviction communiste qui semble animer André Gide depuis quelques temps ; sa notoriété est telle que '' l'Union pour la Vérité '' organise un débat sous le titre '' André Gide et notre temps '' avec divers contradicteurs. C'est un 26 mars 1935, rue Racine, qu'André Gide se plie à l'exercice accompagné par la NRF au complet.
Le communisme est au centre de l'affrontement orchestré par Henri Massis. Lancelot regrette la contradiction de Daniel Halévy hostile et personnelle, basée sur la dimension religieuse que Gide était censé rejeter parce que dogmatique, pour finalement se convertir à la religion communiste... !
Guilloux, Aragon, Gide - 1935Gide explique, avec sincérité son attachement plus sentimental que intellectuel, au communisme qu'accompagne une sorte de culpabilité, et comme il le dit : « En face de certains riches, comment ne pas se sentir une âme de communiste ? ». Il rapproche même le communisme d'un christianisme qui reviendrait aux sources ; ce que lui reproche fermement Maritain.
Henri Massis lui, tente de révéler les contradictions de l'auteur des '' Faux-Monnayeurs'' ; il termine : « Aussi est-ce le drame de notre civilisation qui se joue comme dans un microcosme, dans la personne d'André Gide, personne qui à son propre sujet, met en cause les valeurs humaines sur lesquelles cette civilisation est tout entière établie. »
Sur le plan strictement politique, Gide n’apparaît pas comme crédible... Lui-même reconnaît qu'au cours de la Grande Guerre, c'est '' L'Action Française'' qui lui paraissait le parti « le plus sûr et le plus solide ». Pourquoi ce besoin d'un parti ?,- la nécessité de se grouper : « Oui c'est un besoin d'adhérer pour lutter contre une dissolution, qui était au fond de tout cela »
Gillouin ironise un peu quand il décrit Gide, dupe d'une foi ingénue dans la vocation messianique du prolétariat exempt du péché originel d'exploitation... Mais alors, que penser du péché de tyrannie, du péché contre l'esprit, de la suppression des élites...etc ?
Lancelot remarque que Gide n'écrit plus... Le communisme aurait-il désarmé son angoisse ? Vivement, qu'il retourne à ses démons … !
Ce temps du milieu des années trente, est à rapprocher de celui de l'affaire Dreyfus ; avec de nouveaux enjeux pour des intellectuels de gauche, et de droite.
Le parti communiste exerce une attraction auprès des intellectuels soucieux de s'engager, alors que chacun ressent une montée de grands périls. Le 6 février 34, résonne encore...
La culture paraît alors le fer de lance d'un combat contre la barbarie, barbarie à laquelle on donne un nom : le fascisme.
Des communistes aux radicaux, chacun défend son modèle ; mais tous reconnaissent une culture nationale, voire une civilisation, en danger.
Lancelot, à la lumière du personnalisme de Rougemont, définit ainsi le fascisme :
- Le fascisme exige un état fort, dispensateur de tous les biens, méritant donc tous les sacrifices. L’État fasciste met fin aux luttes politiques : il supprime les partis et jugule la presse. Il s'en prend aux valeurs occidentales ; il subordonne à l'Etat divinisé, les libertés fondamentales de la personne et des églises, ainsi que toute espèce de création spirituelle.
Un mot allemand : Gleichschaltung - mise au pas - résume le fascisme et justifie les coups de force hitlériens.
La Mutualité - 1935Dans l'engagement antifasciste, la prochaine étape est le Congrès international des écrivains pour la défense de la culture qui se tient à Paris du 21 au 25 juin 1935.
Il a lieu au moment même où les britanniques sont à Paris pour s'expliquer sur la signature de leur accord naval avec l'Allemagne, et qui autorisent le Troisième Reich à disposer d'une flotte de guerre au tonnage limité ; et ceci, sans accord de leurs alliés !
En réaction, sans-doute, Pierre Laval, sera amené à consolider notre entente avec l’Italie de Mussolini. L’Allemagne se réarme, l'Angleterre s'y résigne et certainement surveille l'entente entre Paris et Rome...
Lancelot a pu échapper aux entretiens annexes à cette rencontre des ministres ; et beaucoup plus intéressé, a obtenu de participer à ce Congrès des écrivains... C'est près de deux cent cinquante écrivains, de trente-huit pays, qui ont été invités... !
En possession des tickets d'entrée nécessaires pour lui et Elaine, ils peuvent prendre place au parterre. Devraient être présents : Pasternak - qui remplace Gorki - Heinrich Mann, Bertolt Brecht, Robert Musil, Aldous Huxley, H. G. Wells, Giono, Barbusse, Dabit, Guéhenno, Mounier, Rolland, Vitrac, E. M. Forster, Max Brod, Paul Nizan, Julien Benda, Aragon, Roger Martin du Gard, Guilloux... James Joyce, Queneau, Prévert se sont abstenus... Deux, peut-être trois milliers de personnes sont attendus ; des hauts parleurs sont installés dans les couloirs du Palais de la Mutualité et à l’extérieur.