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The seven sevens horizon 7777777

Publié le 04 octobre 2021 par Les Alluvions.com

Claudie Gallay, Détails d'Opalk a, Actes Sud, 2014, p.76.

Le maestro avait glissé le livre dans ma boîte aux lettres, m'en avertissant par sms et m'invitant à le sortir vite de là, car on annonçait de la pluie. C'était douter un peu légèrement de l'étanchéité de ma boîte, mais n'importe, je ne tardai pas à récupérer le petit volume de chez Actes Sud.

The seven sevens horizon 7777777

Ce n'est pas une nouveauté, ayant paru, il y a sept ans, en avril 2014. Je connaissais un peu Roman Opalka, le peintre polonais (1931-2011) mais seulement de nom Claudie Gallay, auteure de quelques romans à succès. Rien qui laisse présager ce récit passionnant, que j'ai dévoré en deux soirées. Elle y conte sa fascination pour un artiste qui a voué son existence entière à un seul concept : la capture du temps qui passe, la représentation de la durée à travers l'inscription sur une toile de la suite infinie des nombres. Le geste inaugural a lieu en 1965 : Opalka trace le 1 à la peinture blanche sur un fond noir. Pendant quarante ans, il ne cessera plus de peindre les nombres suivants. Chaque tableau, tous de format identique (1,96 x 1,35 m), se nomme Détail. L'ensemble forme l'œuvre OPALKA 1965/1 - ∞ (à sa mort, elle comptera 233 Détails), riche de 5 607 249 nombres, c'est-à-dire 38 139 612 chiffres.

Dans un article " The seven sevens horizon 7777777 ", Roman Opalka crée une représentation des nombres qui met son œuvre en perspective :


" Dans le même article, écrit Joël Chevrier, il explique que si son premier tableau (OPALKA 1965/1 - ∞ Détail 1-35327) contient 1, 22, 333 et 4444, et le second 55555, il lui a fallu 7 ans pour dépasser 666666, et atteindre 1000000, début de l'immense série des nombres à 7 chiffres. Pour rejoindre 7777777, il lui aurait fallu peindre pendant presque 100 ans à ce rythme. Dans tous les cas, 88888888 est donc bien largement au-delà de la limite humaine. Pour l'atteindre, il faudrait vivre des siècles."

7777777 est l'un de ces nombres-événements dont l'approche met Roman Oplaka sous pression. Mais celui-ci, il sait qu'il ne l'atteindra jamais." Ce nombre est la beauté parfaite, le but suprême, s'enflamme à son tour Claudie Gallay, il pourrait mourir en l'écrivant, par excès d'exaltation." Il lui a fallu sept mois pour remplir de nombres sa première toile, il lui faudra sept ans pour aboutir au nombre magique des six 6. C'est aussi en 1972 qu'il introduit une dernière règle : à chaque nouvelle toile, il éclaircira le noir du fond avec 1 % de blanc, ainsi au fil du temps le contraste s'atténuera et les toiles tendront vers le blanc sur blanc : " la disparition dans la lumière, inévitable."

A partir de 1968, à l'issue de chaque séance de travail, il se prend en photo, en noir et blanc, vêtu de la même chemise, en prenant bien soin à ce que le visage ne trahisse pas la moindre émotion. Il en résulte une fascinante série où s'inscrit irrésistiblement l'altération de l'âge, le cheminement vers la mort.

Il se trouve que le même jour où je reçois ce livre par le truchement du maestro, je suis plongé dans le dernier roman de Richard Powers, Sidérations (Actes Sud, là encore). Je n'ai jamais évoqué ici son roman précédent, L'Arbre-Monde, mais ce chef d'œuvre m'avait été une des lectures les plus fortes de ces dernières années, aussi n'ai-je pas tardé à désirer découvrir ce nouvel opus du grand écrivain américain (qui n'atteint pas à mon avis la puissance du précédent, mais sans doute parce qu'il est moins choral, plus resserré qu'il est sur une histoire entre un père et son fils - il n'en reste pas moins assez impressionnant). Or, entre Détails Opalka et Sidérations, un réseau de correspondances se dessina très vite : en premier lieu, s'imposaient une semblable composition en courts chapitres non numérotés, une semblable narration à la première personne, et une commune référence au vertige des nombres (relevée par ailleurs par Jacques Barbaut le 27 septembre dernier (je la prolonge quelque peu):

Il me réveilla dans la nuit. Combien d'étoiles tu as dit qu'il y avait ?
Impossible de me fâcher. Même arraché au sommeil, j'étais ravi qu'il poursuive sa contemplation.
"Multiplie tous les grains de sable de la Terre par le nombre d'arbres. Cent mille quatrillions."
Je l'obligeai à réciter vingt-neuf zéros. Au bout de quinze, son rire dégénéra en grognements.
" Si tu étais un astronome de l'Antiquité et que tu comptais en chiffres romains, tu n'aurais jamais réussi à écrire ce nombre. Toute ta vie n'aurait pas suffi."
Et combien ont des planètes ?
Ce nombre-là ne cessait de changer. "La plupart en ont sans doute au moins une. Beaucoup en ont plusieurs. A elle seule, la Voie lactée pourrait bien avoir neuf milliards de planètes comparables à la Terre dans les zones habitables de ses étoiles. Et si tu ajoutes les dizaines d'autre galaxies du Groupe local..." (p.19))

Et ceci résonne étrangement avec un autre passage du récit de Claudie Gallay, qui n'a pas de rapport direct avec Opalka, et qu'elle place un 10 août à Mussy-sous-Dun, donc en Saône-et-Loire, lors de la nuit des étoiles filantes : " Au-dessus de la tête, des milliards d'étoiles... Petite Ourse, Grande Ourse, la Polaire.../ Entre, un vide sidéral." (p. 122)

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La référence à Giordano Bruno me fit aussitôt songer à l'épigraphe de Lucrèce ( De la nature des choses), dans le roman de Powers (p. 7) :

Il faut donc avouer, pour la même raison,
que le ciel, le soleil et la terre et la lune,
la mer et le restant des choses existantes,
plutôt qu'uniques, sont en innombrable nombre.

Stephen Greenblatt a bien montré dans Quattrocento (Flammarion, 2013) combien la découverte du texte de Lucrèce avait " troublé et transformé l'univers entier de Bruno. [...] Citant Lucrèce, il affirmait qu'il y a une multitude de mondes, où les semences des choses, dans leur infinité, pourraient se combiner pour former d'autres races d'hommes, d'autres créatures." (pp. 281-287)

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