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Chroniques d'Europe (22) - Alzira, partie seconde

Publié le 01 août 2008 par Audine
Je joue avec le mimosa sensitif d’Alzira, qui se rétracte à mes affleurements.

C’est en revenant de je ne sais plus où, qu’à la gare, mon père m’avait accueillie avec au bout d’une laisse, Kiwie, une bébé berger des Pyrénées, grise, avec des poils dans les yeux et le regard rieur et confiant. En promenade, elle nous tournait autour pour rassembler le troupeau, et nous avions été obligés de changer les mots pour ne pas qu’elle comprenne trop vite. On va à la messe ce matin ? que nous disions, bande de mécréants, le dimanche, pour se concerter sur une probable sortie au parc de Sceaux. En évitant de la regarder, sinon, elle comprenait à tout hasard et agitait son bout de queue et ses oreilles carrées, coupées à la naissance pour éviter la prise au loup.

Un été, j’étais allée en voiture, avec Kiwie, rejoindre Alzira qui pour une fois, était seule, dans la maison en bord de lavoir du hameau de Mont, près d’Ouroux, dans le Morvan. Nous avions passés quelques jours enchanteurs. Beaucoup de balades. Alzira m’avait un peu appris à faire des mots croisés – il y a des ruses classiques.

Je me souviens d’un soir, Alzira dans son lit, sa porte de chambre ouverte sur la grande pièce d’entrée commune qui sert de cuisine dans les maisons du Morvan. Je traînais et j’avais repéré une araignée sur le frigo. Je m’étais mise à faire des expériences de sensibilité aux sons, et poussais des « bouh ! » sur l’araignée, qui se contractait nerveusement sous ses pattes avec les vibrations, et Alzira riait, et me disait de laisser tranquille la pauvre bête.

C’est à un autre retour dans une gare que mon père est venu me chercher et m’a annoncé la mort de Kiwie, au bout de 5 ans d’existence, debout devant un comptoir de café.

Elle avait un coin dans le meuble de l’entrée, qui lui servait de niche. Plus tard, ma mère a mis, je ne sais pourquoi, un vase de fleurs artificielles, et mon frère a appelé ce coin «  la tombe de Kiwie ».

Le lundi est jour de lessive du blanc à la porte Montmartre et Maria Augusta apporte le linge au lavoir de Saint Ouen, tassé dans une espèce de toile de jute, le baluchon sur la tête. Elle fait exprès d’arriver un peu tard, pour mettre le paquet au dessus, pour ne pas qu’il se mêle à la saleté du linge des autres. Maria Augusta paie la place. Le linge trempe et bout dans une lessiveuse géante puis passe à l’essoreuse. Maria Augusta revient avec le linge essoré sur la tête. Il pèse un âne mort, elle a un port de tête altier. Le lendemain, c’est au tour du linge de couleur. Pour le séchage, étendre le linge au soleil sur des pierres retire les tâches. Le jeudi, c’est repassage. La sœur de Félix, Palmyre, voisine de zone, vient l’après midi et papote en portugais et tricote. Peut être évoquent elles les frères de Palmyre, Virgil le coureur qui a eu 10 enfants, Narcisse le fidèle qui fait de la prison pour insolence politique.

Alzira fait toutes les démarches pour Maria Augusta – Félix lui travaille tant et plus pour rapporter les sous du ménage.

Elle signe les mots pour les instituteurs, surveille les devoirs, et avant même d’obtenir trois brevets, ceux de couture, travaux ménagers et de lingerie, coud et recoud pour tout le monde.

Alzira dans la zone, va chercher l’eau consommable, non pas au puit mais à l’épicerie Goulet Turpin qui fait troquet. Trois brocs de lait de 25 litres sur une charrette à bras. Son frère est chargé de l’aider tout de même. La patronne de l’épicerie est une bougnate et s’appelle madame Gari. Le puit du bout de l’impasse lui, sert plutôt de frigo.

Alzira va aussi chercher les tickets de rationnement pendant et après la guerre, ainsi que les tabliers et les chaussures.

Elle seconde Maria Augusta. Solange joue, sur le pot, avec une petite chaise à trous dans lesquels sont plantés des crayons, ce sont ses élèves.

Toutes les maisons de la zone ne sont pas aussi entretenues que celle de Félix et Maria Augusta. Au sol il y a du parquet ciré, la maison est peinte et des haricots d’Espagne courent le long de la façade. Même l’échelle est peinte et il y a une petite tonnelle. Ni gaz, ni eau donc et l’éclairage se fait à la lampe à pétrole. Une seule lampe.

L’impasse est derrière les Puces de Saint Ouen. Parfois, des promeneurs cherchant l’entrée des Puces s’égarent, et les enfants de la zone leur clament « c’est bouché au bout ».

Il y a une marchande des quatre saisons qui s’appelle madame Picotin.

Félix supportait mal les autres portugais, qu’il jugeait négligés, sales, machos. Dans la zone, il y a peu d’autres portugais. Ce qui fait la communauté est la classe sociale.

Pour cette petite maison, un loyer est payé à madame Augustine. Pour gagner un peu plus d’argent, Maria Augusta lave le linge d’autres portugais.

Félix qui est petit, en impose cependant à tout le monde. Y compris aux autres enfants de la zone. Il possède une autorité naturelle. Ses filles l’adulent et sont fières qu’il soit craint. Lorsqu’il arrive le soir, il a toujours deux filles qui accourent se pendre à ses manches et son veston lui tombe des épaules mais lui il biche.

Maria Augusta fait des centaines et des centaines de gamelles, et se lève à 5 heures du matin pour nourrir son monde. Félix bénéficie des gamelles les plus incroyables qu’on ait vues : une entrée, un plat - pour deux – un fromage et un dessert et la Quintonine pour fortifier l’homme.

Lorsqu’en 43, la zone doit être rasée, les bonnes sœurs de Saint Vincent de Paul trouvent deux logements à proposer à Félix et Maria Augusta, dont un qui est refusé par le couple : le sol est en terre azotite, une sorte de ciment rouge !! Bien qu’équipé de gaz, d’eau courante et d’électricité, le logement HLM rue Frédéric Schneider n’emballe pas Félix et Maria Augusta. Il est au 4e, c’est sombre et il isole de la communauté. La qualité de vie d’Alzira elle, fait un grand bond qualitatif, à l’âge de 15 ans.

Alzira apprend d’Alice, fille de Palmyre et de 7 ans son aînée - qui, s’appelant Alzira également, a hérité du prénom d’Alice, pendant que la fille de Maria Augusta sera appelée Annie – comment tricoter. Avec des clefs de boites à sardines.

A l’âge de 3 ans, l’école maternelle s’appelle l’asile. Alzira sait lire bien avant le CP.

Elle fréquente le patronage et les bonnes sœurs la distinguent et la font admettre à l’école Championnet, dont la mère supérieure sera déportée pour avoir caché des juifs.

C’est un honneur, car cette école a pour élèves des filles de bijoutier, de pharmaciens et autres notables.

D’ailleurs, une des élèves refuse de rencontrer sa mère venue la chercher à la sortie de l’école sans chapeau.

Lorsque l’école est bombardée, Alzira ira à Jean Cotin. Les produits des travaux de couture et plus particulièrement des broderies, vendus dans les ventes de charité, permettent aux sœurs de ne pas réclamer aux familles des frais de scolarité. Et puis les sœurs de Saint Vincent de Paul ont fait vœux de se dévouer aux pauvres.

Alzira se fait un manteau en couverture de guerre.

Elle s’épanouit dans ce milieu, et a un grand attachement pour les sœurs, particulièrement sœur Françoise, qui retourne Saint Joseph face contre le mur lorsqu’elle est mécontente de lui.

Sœur Odile vient du Panama, et fait chanter un chant qui parle « d’amor » et la mère supérieure trouve que c’est lugubre, de chanter la mort.

Plus tard, Alzira ira travailler, avec sa cousine Alice et sa sœur Emilienne, dans un atelier de couture. Mais elle n’est pas assez rapide pour être vraiment bien payée, elle fait de la mise sur toile, et Alice, douée, fait du réglage.

Lorsqu’en 48, la famille Félix et Maria Augusta et Palmyre et leurs enfants décident de partir un mois à Porto, les trois filles demandent 15 jours de congés supplémentaires aux 15 jours obligatoires. Ce qui leur est refusé. Au retour elles sont mises à la porte. Alice est rapidement reprise pour ses qualifications, mais Alzira et Emilienne trouvent du travail ailleurs, plus confortable pour Alzira qui n’est plus payée à la pièce.

Une trentaine d’année plus tard, Maria Augusta, qui fait la Dame au Portugal lorsqu’ils y sont avec Félix, comptera 12 robes dans ses affaires. A Porto, elle va chez le coiffeur et la manucure.

Les traîtres au pays, qui ont adopté la France avec une loyauté et une confiance aveugles, démontrent ainsi qu’ils ont eu raison.

 

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