D'ici (Extrait)
d'ici je vois la mer
je vois toujours la mer
qu'ici soit ailleurs
elle se déplace
par le fond de mes yeux
mer digue barque
dans ces mots le vent
des images vaines
soulevé pour qui
le poids à peine
de ce qui est enfoui
par-dessous la mer étale
le dépôt de ce qui a passé
silence minéral
volume inerte
trous de vie
on arrange les surfaces
pour dire qu'on est là
un pied sur le béton
trajet simple des pas
qui nous soustraient à nous-mêmes
après je peux émerger
de ce qui est
vide rempli
de piles de vides
qui font un fond
à ce qui ne bougera plus
toujours après
la disparition [...]
silence de barque
qui prend ce qu'elle peut
lieus bars maquereaux
les écailles vertes d'une orphie
qu'importe la prise
pourvu qu'on prenne
réduite au moindre
bruit qui s'étouffe
fragment sans relief
ciel écrasé gris
autre poids autre peine
moteur mort
et soi roulé rouleau galet
vivant par mort
d'avoir été vivant
moteur mort
coulée de vie
sans histoire
sans intérieurs
pas même fossile
avant la vie fanée
les hortensias les marguerites
et tout ce qui nous pousse dedans
poussé par les vides
la peur de sortir
la peur de tomber sur soi
pas à pas digue
longue digue lente
jusqu'à revenir
dans le temps qui s'use
de la cabine au club mickey
longue digue lente
fermée de l'intérieur
alors que les yeux s'ouvrent
en se mêlant de la vie
on s'éloigne du bout
par lequel on est arrivé
à ce qui s'en va
dire chope et flip et port
dire ce qui nous emmène
jusqu'à la nuit claire
où on se sent bien
de ne pas avoir à jouer
ce qu'on est
temps hors du temps
sans vides sans rides
comme sans nous
du temps à vivre
pas plus simple d'être mort
malgré les images et le temps
pour que la mer se déroule
par le fond de mes yeux.
Ludovic Degroote, Si décousu, La vignette de couverture est de Bernard Pagès, Éditions Unes 2019, pp.17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25.