Qui suis-je ? Qui suis-je quand je ne suis pas la mère de mes filles, celle qui œuvre chaque jour pour leur bien-être, le meilleur but de ma vie ?
Qui suis-je lorsqu’elles sont tellement loin de moi, que ce rôle est mis comme entre parenthèses, et que j’essaie pour quelques semaines de profiter de ma liberté ?
Qui suis-je lorsque je suis libre ? Que fais-je d’ailleurs de cette liberté ?
Je me sens perdue.
Je ne sais pas à quoi me raccrocher. Un coup de téléphone il y a une bonne semaine. Une demande du père pour une conversation au sujet du divorce… Simple. Normal. Dans l’évolution des choses. Une voix troublée par l’émotion. Une émotion qui me touche de plein fouet… Une claque sur mon visage de femme plus ou moins libre…
Les autres, tous ceux que j’aime, sont toujours passés avant moi. Ça a toujours été ma façon d’aimer… Jusqu’à aujourd’hui.
Depuis cette conversation, je ne suis plus la même. Je ne suis plus la femme sûre, celle qui sait ce qu’elle veut coûte que coûte.
Je me retrouve pleine de doutes. Les mêmes doutes que ceux qui m’ont prise au moment de décider d’une fin… Retour en arrière.
Je devais m’y attendre, on m’avait prévenue que ça reviendrait. Que je rechuterai. Je ne me suis pas méfiée. Je ne m’y attendais pas. Pas si vite. Je ne m’y attendais pas là, juste à une dizaine
de jours de mes vacances, à quelques jours de retrouver mes filles. Si peu de temps après la décision finale… Quelques mois à peine.
La page se tourne donc en plusieurs fois, et jamais on ne peut être sûre qu’elle se tourne définitivement. Un brin d’air souffle et hop, les pages s’envolent dans l’autre sens. Et on ne retrouve plus où on en était. Avant ce passage ou après… L’avions-nous fini, ce bouquin ?
Et on se retrouve à se redemander si les bonnes décisions ont été prises. Je repars en arrière. Irrémédiablement tiraillée entre hier et aujourd’hui. Deux douleurs différentes à vrai dire…
De toute façon, mon présent n’est pas mirobolant… Il est empli d’inutile. Je tente vainement de prendre du bon en remplissant pour quelques heures perdues, le vide que j’ai créé, que
j’ai causé. Et je me retrouve face à des trouilles sans noms.
Des peurs qui me rongent de plus en plus. Je séduis, je désire, je consomme et puis 24h après, le remords, la peur de ce que je viens juste de faire, la peur de la suite, la peur de ce qui dure
plus que la consommation rapide, plus que l’instant qui fait plaisir. Je consomme vite, parce qu’à cette minute-là le remords ne m’atteint pas encore, je me sens libre et je veux profiter à fond
avant le retour de bâton… Si je ne consomme pas, c’est perdu. Je ne laisserai pas la possibilité se répéter ultérieurement…
Lorsqu’il n’y a pas de fin… C’est la peur de l'après, d’une histoire, des conséquences, des promesses ensuite.
Je sais, je ne suis pas tout à fait prête. C’est simplement ça, je ne suis pas encore prête. J’ai envie mais rien de plus. Je suis encore en convalescence.
J’essaie de guérir d’une longue maladie. D’une maladie que je recherche encore, dont j’ai besoin pour vivre. Sans, je suis malheureuse, et avec je ne suis pas heureuse parce que cette maladie désormais me terrifie. J’ai peur de deux SMS qui se suivent en deux jours. Peur de trouver en quelqu’un d’autre un soupçon de ce que j’ai connu précédemment.
Je ne peux avoir confiance en personne parce que je n’ai pas confiance en moi. Je refuse de me faire confiance, je refuse de me fier à mon jugement.
Comme si… Comme si j’avais quelque chose à risquer à prendre du bon dans ma vie présente… Pourquoi ? Pourquoi je m’inflige ça après ce que j’ai traversé ? J’ai besoin du bon et je me l’interdis, je me flagelle mille fois d’avoir oser passer un bon moment avec un autre que cette profonde empreinte de mon passé…
Une forme de culpabilité sûrement, de vivre, de vivre quelque chose que je ne donnais qu’à un seul avant, il n’y a pas si longtemps, auquel j’avais promis… Auquel j’avais fait des promesses trop grandes pour moi, de toujours et de « personne d'autre que toi ».
Je me suis conditionnée. Si bien que le moindre bon que je retire depuis cette décision d’il y a quelques mois, je m’en punis. Je m’en prive. Je l’accepte sur le moment puis je me le refuse
quelques heures après, comme si je ne méritais pas le bon de la vie après avoir décidé de la fin de ma famille.
Pourtant je sais qu’elle était finie bien avant, je ne sais pas pourquoi je m’en fais le martyre, que je me flagelle incessamment pour quelque chose qui était devenu inévitable.
Je garde le sentiment que je n’avais pas le droit d’abandonner, de renoncer. Pourquoi ?
Je n’en sais rien. C’est gravé à l’intérieur. Tout le temps ! Comme une pensée obsédante marquée au fer rouge, qu’on a beau vouloir cacher ou ignorer, elle reste là, comme une plaie, une marque, un tatouage indélébile…
J’ai beau me convaincre que mon choix était le meilleur, rien n’est évident, c’est après maintes réflexions mille fois répétées que la conclusion prend de son évidence, entre les deux c’est un travail incessant qui me fatigue.
Pourquoi je m’empêche de vivre le présent, pourquoi ? J’ai besoin et envie de le vivre, et je le fais au prix de luttes incroyables contre moi-même…
Vais-je seulement guérir de tout ça ?
Vais-je pouvoir retirer de moi tout ce venin des promesses passées et non tenues, des obligations que je me suis créées vis-à-vis de lui et qui m’ont conditionnées à une culpabilité sans nom, constante, incontrôlée et incontrôlable parce qu’inconsciente ?
Qui suis-je ? Où vais-je ? Où cours-je ???
Du brouillard, un épais brouillard tout autour et au-dedans, et j’ai beau crier je suis seule, seule avec un fantôme qui rôde et ne me laisse pas en paix…