Magazine Journal intime

[réédité, relu] renata n'importe quoi, roman de catherine guérard

Publié le 20 novembre 2021 par Tilly

aux éditions du Chemin de fer, novembre 2021, 178 pages, 18 euros

en 4è de couv : Catherine Guérard nous emporte dans le monologue de son héroïne, bonne à tout faire, qui décide un jour de quitter ses patrons pour devenir “une libre”. Ce sont trois jours et deux nuits d’errance, à marcher dans les rues, s’asseoir sur les bancs, regarder les passants et écouter les oiseaux. La narratrice va se confronter à un monde qu’elle semble découvrir au fur et à mesure qu’elle l’arpente, un monde qui la rejette systématiquement, elle dont la liberté ne peut souffrir aucune entrave. Le plus saisissant dans ce roman est la réussite magistrale d’un parti pris formel : une seule longue phrase ponctuée de quelques virgules et majuscules judicieuses. Le flot du texte emporte le lecteur dans les ressassements et les obsessions d’une pensée pleine de candeur mais toujours déterminée et dangereusement radicale. Publiée pour la première fois en 1967, cette œuvre résonne aujourd’hui comme un hymne prémonitoire. N’annonce-t-elle pas le vent révolutionnaire qui soufflera bientôt sur un monde corseté dans ses certitudes et empêtré dans sa peur de manquer ou de perdre ses acquis ? Renata n’importe quoi c’est l’invraisemblable odyssée d’une bonne de Giraudoux qui attendrait Godot. Un trésor qu’une communauté de lecteurs initiés se transmet comme une pépite, qui nourrit une réflexion profonde et nécessaire sur l’absurdité de nos sociétés, la loi, l’argent, le travail et la consommation. Ou pour le dire autrement : comment refuser l’aliénation qui nous est imposée sans apparaître soi-même comme un aliéné dans le regard des autres ?  Réédition tout à fait inattendue et très heureuse, d'un roman-culte, marquant et mystérieux ; c'est le second (dernier) roman d'une auteure incompréhensiblement disparue des radars de l'Édition, compte tenu de son talent et sa modernité.

Je l'ai lu une première fois en 2013 ; Alain Bonnand m'avait offert l'édition Gallimard (aujourd'hui épuisée), il avait deviné que cela allait me plaire. C'est lui encore qui vient de me signaler la réapparition de Renata n'importe quoi.

À l'époque j'avais voulu me renseigner sur l'auteure. Mais Catherine Guérard, c'est plutôt Catherine n'importe quoi parce qu'avec ce nom très homonymé, on ne trouve pas grand-chose sur elle. Un Masque et la Plume de 67 à l'INA dans lequel elle intervient depuis la salle, mais aucune image. Est-ce que la Catherine Guérard qui regrettait le départ de bébé Adjani de la Comédie Française en 75, c'était elle ?  "Une Adjani, il n'y en a qu'une par siècle !". Si elle avait si complètement disparu des internets, c'était sans doute pour une triste raison ?

J'ai relu ce roman avec admiration et plaisir ; je ne change rien à ma note de lecture d'avrillien 2013, même si il m'a souvent semblé lire un texte nouveau (la mémoire qui flanche ? ou le talent de Catherine Guérard?).

Comme je l'avais fait en 2013, mais ces jours-ci dans une brève pour L'Obs, Jérôme Garcin signale et cite le Masque et la Plume de 67 qui faisait la revue des romans écartés du palmarès du Goncourt cette année-là. Et comme moi avant lui, il suggère que ce texte est fait pour la scène :

“ Strident comme un cri dans la nuit, poignant comme un adieu, ce monologue intérieur et itinérant, dont la révolte sociale emprunte au théâtre de Genet, semble destiné à la scène. Il est tellement prémonitoire. Merci aux Éditions du Chemin de fer de nous apprendre que Catherine Guérard nous manquait. ”

Bon allez, je ne me fais pas d'illusions sur la circulation et l'influence de mes petites notes de lecture, hein ? mais bon !
Jérôme Garcin fournit, lui, des informations biographiques minuscules mais nouvelles : Catherine Guérard serait morte il y a une dizaine d'années en Corrèze où elle aurait vécu.

CatherineguerardLes éditions du Chemin de Fer ont mis en quatrième de couverture une photo de l'auteure de Renata n'importe quoi et de Ces Princes (1955). Je ne connaissais pas son visage. C'est émouvant de le découvrir, d'autant que l'effet de surimpression renforce l'impression douce et fantomatique du portrait.

Catherine Guérard, 1967 (Babelio)

Autre coïncidence : presque en même temps sur Babelio, un membre ou un organisateur a également mis une photo de Catherine Guérard, visiblement prise au même moment en 1967 (seul le collier est différent !).

>> lire aussi

  • Ces Princes (1955, 1968)
  • Catherine Guérard quelque part, le mystère

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