En cette année 1936, Avant que les Maritain ne partent en Argentine, Lancelot et Elaine participent à une présentation du dernier ouvrage de Jacques Maritain publié "Humanisme intégral"
La personnalité de Maritain reste influente sur ces jeunes ''non-conformistes'', en rupture de ce que Mounier appelle le '' désordre établi'', et qui face à une crise de civilisation en appelle à une ''révolution spirituelle'', d'où cette recherche de ''troisième voie''.
Malgré quelques divergences politiques ( Ethiopie, guerre d'Espagne, accords de Munich...) , Fabrègues reste fidèle au Maritain spirituel.
Quand des mesures disciplinaires sont évoquées de la part de Rome contre ''Esprit'', Maritain apporte sa caution morale à Mounier. Maritain préfère la formule ''révolution de l'esprit'' à '' révolution chrétienne'' ; de même il préfère dire que « les chrétiens s'expriment "en tant" que chrétiens », alors que Mounier pense que les chrétiens doivent s'exprimer « en chrétiens » pour être les coauteurs de la révolution spirituelle et personnaliste qu'Esprit entend susciter.
Humanisme intégral veut proposer un idéal concret : celle de l'édification d'une cité où toutes les dimensions de l'homme seraient restaurées. « L'humanisme intégral» est un « humanisme de l'incarnation »
- Vous pensez à cette fameuse société médiévale... ?
- Non ! Pas de retour en arrière. « C'est en avant que la sagesse chrétienne nous invite à nous déplacer ». Je note seulement que c'est la théologie médiévale qui a dégagé cette notion fondamentale : la personne, façonnée de naturel et de surnaturel...
- Une nouvelle civilisation ?
- Une autre civilisation inspirée par les exigences de l'Evangile : « N'est-il pas temps que du ciel du sacré que quatre siècles de style baroque lui avaient réservé, la sainteté descende aux choses du monde et de la culture, travaille à transformer le régime terrestre de l'humanité, fasse œuvre sociale et politique? »
- Aujourd'hui, quelle peut être notre position face au nazisme, à l'antisémitisme ?
- Nous croyons à la commune appartenance des humains à «la même nature humaine ». Notre démocratie semble se présenter comme une chiffe molle, sans détermination ni résistance intellectuelle. Elle est bien fragile si l'on ne vénère ensemble la vérité et l'intelligence, la liberté et la dignité, le bien moral et l'amour fraternel.
- Pourquoi en appeler à un humanisme intégral ?
- Pour ne pas en rester à la seule mesure humaine... Vous connaissez la formule : « L'homme est la mesure de toute chose » - selon le sophiste Protagoras et rapporté par Platon pour le critiquer... - Cette mesure est basée sur les sens de l'homme, sur le jugement de l'homme, toute chose relative... Et qui s'oppose à ce que pense Platon de la Vérité...
Il est nécessaire de présenter une vision complète de la vocation humaine. L'Homme comme personne inclut tout son potentiel, toutes ses virtualités, y compris la dimension spirituelle...
- S'agit-il de restaurer une théocratie ?
- Non ! La société à venir devra être personnaliste : « le bien de la cité demeure subordonné au bien de la personne. »
- Dans l’Humanisme intégral, vous écrivez : « C’est seulement dans une nouvelle chrétienté à venir que cette valeur éthique et effective du mot démocratie pourrait réellement être sauvée »
- Notre démocratie est-elle donc suspendue à l’avènement de la « nouvelle chrétienté » ?
- Il s'agit de bâtir une société fondée sur un humanisme qui tire sa source de l’Evangile.
- L'Homme n'est pas une idée, une idée que l'on se fait de la nature humaine ; avec ses catégories, ses races... L'Homme est un existant. Chaque Homme est un être unique, irremplaçable : c'est ce que l'on veut dire quand on dit que l'Homme est une personne. - Aimez-vous Elaine, parce qu'elle répond à certaines catégories ( couleur de peau, forme du nez, taille ...etc) ? Ou pour ce qu'elle est ?
- Ce que l'on aime chez l'être aimé, n'est-il pas la réalité la plus substantielle et cachée, la plus existante de l’être aimé ?
La personne doit se sentir libre d'être ce qu'elle est, quelle que soit ses différences avec les autres. . Thomas d’Aquin souligne que la personne est: « ce qu’il y a de plus noble et de plus parfait dans toute la nature.» ( Somme théologique, Paris, PUF, 1990, I, 29, 3. )
Hegel, à la suite d'Augustin, déclare que la faculté de prendre conscience de soi-même est un de privilèges de l’esprit et que les grands progrès de l’humanité sont des progrès dans la prise de conscience de soi.
- Pourtant le repliement sur soi - ce moi haïssable de Pascal – peut causer quelques dégâts... ?
- L'Homme est tiraillé entre son individualité et sa personnalité véritable ( spirituelle).
- Ne pourrait-on pas parler de ''Personne'' sans faire référence à Dieu ?
C'est Elaine, qui parle : Louis Lavelle dont elle suit les cours, dit que que si l'Homme centrait son humanisme uniquement sur l'humain, c'est comme s'il rompait ses amarres, s'il naviguait sans boussole. Il attendrait tout de lui-même.
Maritain confirme : Notre ''humanisme'' a mal tourné parce qu'il était centré sur l'homme seul. Il rajoute même : « l’humanisme a abandonné son caractère héroïque, pour revêtir un caractère essentiellement utilitaire. » « il a cherché à reléguer dans l’oubli la mort et le mal, au lieu de les regarder en face... »
Elaine, souffrant de plus en plus, accepte l'opération chirurgicale. La confiance qu'elle a en son médecin, le confort de la clinique et la gentillesse du personnel l'aident à consentir à son sort. Lancelot est frappé de son acceptation; et tente d'être aussi positive qu'elle...
Devant ce sort injuste, comment ne pas en vouloir à cette vie qui nous livre ainsi à la mort ? Lancelot ne peut être davantage interpellé sur le sens de sa présence au monde.