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VIII
La Sibylle (1608-1609)
Est-ce ma mère qu’Orazio cherche indéfiniment sous son pinceau, d’un portrait l’autre ? Est-ce moi qu’il cherche à s’approprier en faisant surgir sur ses toiles le portrait des femmes qui le hantent ? L’on dit de moi que je ne ressemble ni à Prudenzia ni à Orazio. À qui dois-je ces rondeurs, ces formes généreuses qui attirent sur moi les regards attisent autour de moi le désir des hommes ? Sûrement pas à Orazio. Je n’ai hérité ni de sa maigreur ni de la sécheresse de ses traits ni de son regard aigu, ni de ses lèvres pincées. Encore moins de son caractère d’atrabilaire, peu enclin, en apparence, au plaisir. De ma mère, qu’ai-je reçu en partage ? Je n’ai ni son visage angélique ni sa pudeur extrême. Un rien la faisait se troubler et rougir, baisser les yeux sur son ouvrage au moindre regard qui se risquait sur elle. À qui dois-je cet air effronté, ces boucles rebelles ces lèvres charnues qui palpitent comme grenade mûre qui ne demande qu’à s’ouvrir ? Je me regarde me contemple tourne autour de mon visage. Je cherche sous mon pinceau à travers ma palette de couleurs et sur le glacis de mes toiles le secret de celle qui gît en moi. Je me tourne vers moi-même non par excès d’amour pour ma personne mais parce que je veux comprendre.
Qui suis-je ?
Est-ce ma mère qu’Orazio a représentée sous les traits de la Sibylle ? Cet ovale tendre, qui cherche à retenir le regard de celui qui l’observe, est-ce celui de Prudenzia ? Elle est belle, la Sibylle de mon père. C’est étrange, cette torsion qu’il a donnée au buste de la jeune femme. Sans doute est-ce pour capter davantage la lumière. Une lumière qui irradie le visage et illumine envolute le riche drapé en jeté sur ses épaules.
J’aime ce tissu à ramages or et orangé qui repose sur un fauteuil de la chambre d’Orazio. Ma mère aimait les beaux drapés et c’est d’elle que je tiens mon goût irrésistible pour les brocarts et les bijoux. Et ces torsades blanches dont il a ceint le fin visage ! Je reconnais sous sa palette, le blanc de céruse qu’il a utilisé pour agrandir aussi le regard de la jeune fille. Capter la lumière, la retenir à travers les plis d’un tissu ou sur la peau d’un visage. Toute la difficulté est là, et j’avoue que mon père, dans ce domaine, n’a pas son égal.
À SUIVRE...
Portrait of a Young Woman as a Sibyl
Oil on canvasby Orazio Gentileschi, 1626
Museum of Fine Arts Houston (MFAH), Houston, TX, US.
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