Marcher, ouvrir à nouveau le sillon, renouer avec une présence sur laquelle
on n'a aucune prise, sur une présence réelle (et non un simulacre relevant
de ce rapport volontiers " hypnotique " que nous entretenons avec le quotidien,
avec le sens de lecture imposé par le quotidien)
Un langage s'invente pas à pas. Les nuages dérivent comme des lettres
inconnues qui se détachent, au nord du Trièves, d'une infinie banquise
de vapeur. Ils inventent à leur rythme une disparition du sens, les nuages
de novembre.
Bientôt de belles phrases, les dernières, ruissellent entre les rochers, déroulent,
par la cascade ou par l'éboulis, leur désir de dire jusqu'au fond de la vallée
d'Agnielle. Là, elles rejoindront le lit encaissé d'une rivière dont les flots,
aussi constants qu'une nationale, apaisent, calment, quand elle n'a pas su
les noyer, ces sauvages non-dits hérités des cimes.
Dans le ciel le poulpe du froid déroule ses tentacules. Aujourd'hui c'est cela
le " présent " : le pays de l'hiver qui lentement descend sur les montagnes,
appliquent une loi aussi légère que les flocons, aussi saisissante. Ils sont
soudain si fragiles ces sommets, à l'est, à l'endroit du massif d'Aurouze où
le ciel les a surpris.
D'en haut est venu, plus qu'un langage, ce silence boréal qui gèle le sens,
qui est une présence sur laquelle on n'a aucune prise, qui ouvre et ferme
aujourd'hui le sillon de la marche.
Nicolas Boldych, Le dessin des montagnes et autres textes itinérants,
Dessins de l'auteur, Voix d'encre 2020, pp. 36,38.