De manière générale, contredire un complotiste est une perte du temps : toute tentative de contre-argumentation sera immédiatement envisagée comme une preuve de manipulation ou, pire, comme un aveu de complicité avec la grande conspiration internationale. De surcroît, c’est peut-être inutile : ce n’est pas tellement sur les théories qu’ils défendent qu’il faut leur apporter la contradiction mais plutôt sur leur prétention à être des rebelles en guerre contre l’ordre établi, ce en quoi ils se trompent lourdement.
En effet, que nous disent les complotistes qui prétendent que les attentats du 11 septembre 2001 ont été fomentés par la CIA, que ceux de janvier et novembre 2015 ont été orchestrés pour discréditer les Musulmans ou que la pandémie de Covid-19 a été organisée pour pucer la population mondiale ? Fondamentalement, ils affirment tous la même chose : que les dirigeants, avec la complicité des médias, sont capables de déclencher les événements à leur gré et de façonner à leur guise la perception de la réalité par la population. En somme, selon les complotistes, tous les gouvernements de la planète seraient infaillibles, le pouvoir de persuasion des médias serait illimité et la population mondiale toute entière serait dépourvue du moindre esprit critique : ils défendent donc une vision du monde qui n’existe que dans les rêves les plus fous des grands de ce monde.
De fait, les complotistes cherchent aussi, consciemment ou inconsciemment, à se rassurer : de même que les premiers monothéistes ont inventé un dieu infiniment parfait pour pouvoir fermer les yeux sur les imperfections de ce monde, les complotistes s’inventent des gouvernants infaillibles pour pouvoir fermer les yeux les erreurs des dirigeants ; à tout prendre, il est sans doute plus rassurant d’imaginer des chefs malveillants mais infaillibles que de devoir admettre leurs limites. Il existe pourtant une alternative à la bienveillance béate et à l’inquiétude oppressante, à savoir la vigilance qui n’a nul besoin d’imaginer des complots pour être en éveil.
De surcroît, il suffit d’égrener les différentes théories qui ont pu circuler pour s’apercevoir que si complots il y avait eu, ceux-ci auraient brillé par leur inefficacité : si le 11 septembre avait été fomenté pour assurer le contrôle définitif des Etats-Unis sur tous les gouvernements de la planète, si Mohammed Merah avait été relâché sciemment pour assurer la réélection de Sarkozy, si les attentats de 2015 avaient été facilités pour assurer la victoire des Républicains, du RN ou de Manuel Valls deux ans plus tard, si la pandémie de Covid-19 avait été provoquée pour transformer les Occidentaux en petits Chinois dociles qui ne pensent qu’à travailler, le moins qu’on puisse dire est que ces objectifs sont loin d’avoir été atteints ! D’ailleurs, chaque théorie cesse de se faire entendre une fois que « l’échec » de la conspiration supposée est consommé…
Bref, en niant la faillibilité des gouvernements et des médias, les complotistes les surestiment et renforcent l’image que ces instances cherchent à avoir auprès de la population. En fait, si complot il y avait, ses complices les plus fiables seraient les complotistes eux-mêmes ! Zut ! Vous allez voir que je vais leur donner des idées ! Quand je disais que contredire un complotiste était une perte de temps…