À la prochaine guerre (Peut-être ses tambours battent-ils déjà derrière la proche colline) je mettrai mon pipeau dans la main de chaque soldat. Je lui dirai : fais de ce pipeau un crayon. Écris au Général :
" Ne nous verse pas un autre verre de sang fût-il le tien. Ne nous impose pas la perte d'une autre âme fût-elle la tienne. Ne commets pas pour nous un dernier crime parfait, fût-il celui de te tuer toi-même... "
À la prochaine guerre (Peut-être ses tambours battent-ils déjà derrière le rempart de la ville) je mettrai un crayon à la main de chaque soldat. Je lui dirai : Fais de ce crayon un roseau.
Ne crois pas à la guerre pour la paix. Dis que tu as tué le monstre en n'allant pas à la guerre. Je ne mettrai pas de verrou sur ta bouche. Je ne te donnerai pas du feu à boire au lieu du vin. Je ne te ferai pas manger la pierre au lieu du pain.
À la prochaine guerre (Peut-être ses tambours battent-ils déjà derrière la clôture du jardin) je mettrai un roseau dans la main de chaque soldat. Je lui dirai : Fais une flûte de ce roseau. Rejoins l'orchestre de la terre.
Écoute-la chanter :
" La terre suera pour que nous paissions le froment d'amour et la guimauve des souhaits.
Le casque du soldat deviendra nid, la matraque du policier archet de violon.
Qu'importe que cela soit hors de mon lieu. Qu'importe que cela soit hors de mon temps... "
À la prochaine guerre (Peut-être ses tambours battent-ils déjà derrière la porte de la maison) je mettrai les enfants en cercles par terre, là où ils seront en sécurité, chacun tenant à la main une flûte. Je leur dirai : Faites une plume de chaque flûte, et dessinons ensemble des ailes aux racines et des cieux aux ailes. Regardons les rêves et les éléments jaillir en mille couleurs de cette plume magique. Écoutons le roulement des tambours disparaître derrière le poème.
Adam Fathi, Le Souffleur de verre aveugle, (Ses jours et ses travaux), traduit du tunisien par Mansour M'henni,
" Rumeurs de Tunisie " in Rumeurs, Revue semestrielle, La Rumeur Libre Éditions n° 9, Juin 2021, p.178.
lusieurs émissions culturelles. Adam Fathi, de son vrai nom
Fathi Gasmi, commence à publier au début des années 1980. Poète, éditorialiste, parolier et traducteur, il met fin en 1991 à sa carrière d'enseignant pour diriger plusieurs pages culturelles de l'opposition. Son œuvre poétique s'est enrichie par un patrimoine chansonnier où la chanson et le poème vont de pair. Entre 2001 et 2008 il anima à la radio et à la télévision p Il est l'auteur de plusieurs livres de poésie dont Sept lunes pour la gardienne de la tour (1982), Chant pour la fleur de poussière (1991). Il est en outre le traducteur en arabe de plusieurs livres dont Journaux intimes (Baudelaire-1992), De l'inconvénient d'être né (Cioran-2014). Son livre Le Souffleur de verre aveugle (2011) a obtenu le prix Abou el Kacem Chebbi en 2012.