De 1936 à 1940, Lancelot rend compte du Renseignement militaire directement à Daladier ou à son secrétariat général ( Robert Jacomet) ou encore à Roger Génébrier,... Le ministère est alors mobilisé à la préparation de la guerre ( pour l'éviter à tout prix...) : elle serait une guerre longue, d'usure. Est lancée, la mobilisation industrielle : les usines doivent travailler à la sécurité du pays.
Pierre Laval, sénateur, tente de convaincre Daladier, qu'il serait judicieux de se rapprocher de Mussolini, contre Hitler ; à l'image de ce qu'il a fait, lui, avec Staline en 1935...
Pour ce qui est de l'Allemagne, nos services surveillent les permanents allemands, qui frayent dans les lieux mondains ( des micros sont installés au ''122'' - maison close de luxe), diplomates, journalistes ou industriels, tel Julius Westrick, nazi depuis le début et installé à Paris depuis 1925, il suit les réfugiés politiques allemands et prépare le voyage et le séjour de personnalités françaises à Berlin ; ou tel l'intellectuel allemand Friedrich Sieburg, auteur du fameux Dieu est-il français, qui fréquente les salons aristocratiques comme celui de la comtesse de Ganay, ou celui de la comtesse Jean de Castellane, ou encore celui des Melchior de Polignac ; et que pouvait croiser Anne-Laure de Sallembier.
Le 6 novembre 1937, nos services ont fait passer un rapport complet sur les projets d'Hitler. Les responsables français - Daladier, Pétain, Cot, Gamelin, Campinchi... - qui se passent le compte-rendu ont estimé ces informations '' incroyables''. Elles ne seront pas exploitées.
Nos services de renseignement en Allemagne, ont l'opportunité d'utiliser des informations militaires confidentielles grâce à Hans-Thilo Schmidt qui travaille, au bureau du chiffre du ministère de la Reichswehr, puis au ministère de l'air. Ainsi, dès novembre 1937, nous savons qu'au cours d'une réunion, Hitler a clairement exposé son calendrier d'invasion de l'Europe (Autriche et Tchécoslovaquie en 1938, Pologne en 1939, France et Benelux en 1940). Il annonce l'Anschluss 15 jours avant sa réalisation, l'invasion des Sudètes dès août 1938 (soit 6 semaines avant les Accords de Munich), puis les plans de l'invasion de la Tchécoslovaquie.
En 1938, la maison Eher autorise finalement la publication d’une compilation d’extraits intitulée Ma doctrine qui reprend le contenu de Mein Kampf expurgé de nombreux passages antifrançais. Ce texte revendique nettement un ''espace vital '' pour les allemands en éliminant les juifs et les slaves... Maurice-Henri Gauché, du 2e bureau a déjà alerté dans ses rapports sur ce qu'implique le nazisme... Un programme mis en oeuvre dès 1938. Les lois de Nuremberg en 1935, ont déjà établi le racisme comme doctrine absolue du nazisme.
Le 19 janvier 1938, à la Salle des Sociétés Savantes à Paris, lors d'une réunion autour de Thierry Maulnier, et de Jean de Fabrègues, à l'occasion de la sortie du livre de Maulnier “Au-delà du nationalisme”, Lancelot y voit Drieu, et Ramon Fernandez.
Beaucoup de monde s'étonne du titre : pourquoi ''au-delà'' .. ?
Fernandez regrette le thème général du livre, parce « qu'on nuit toujours plus à la doctrine « au-delà » de laquelle on s'aventure qu'à toutes les doctrines contraires. ».
Maulnier se défend ; il considère que le fascisme récapitule les aspirations sociales et communautaires ; qu'il offre un nationalisme débarrassé du libéralisme, et du caractère prolétarien pour ne s'intéresser qu'à la nation... Fabrègues, lui, souhaite y apporter une coloration spirituelle : « L’action révolutionnaire ne se marque pas pour nous au nombre des bombes, à l’action dans la rue. Elle consiste à exiger d’un ensemble social qu’il substitue une nouvelle optique de la vie à celle qui existe. » Jean de Fabrègues, '' Libérer le prolétariat '', Combat, mai 1938.
Drieu rappelle à Maulnier qu'il lui reprochait « de ne savoir prendre parti » ; alors qu'il est lié « dès la première heure au Parti Populaire Français et à Jacques Doriot. ». Alors, comment se fait-il que - « en ces journées tragiques où se décide le sort du pays » - il semble refuser toute profession de foi particulière ; en effet « il lie le procès du capitalisme et celui du marxisme, les éclaire l'un par l'autre, les confond dans un réquisitoire merveilleusement exhaustif, mais il ne va pas au delà.. »
Drieu se demande comment face à la licence capitaliste et la pagaille démocratique, on peut échapper à la solution totalitaire... ? Il reproche à Maulnier de se replier dans un jugement philosophique.
Lancelot relève que , comme le dit Maulnier, l'idée de ''nationalisme '' est généralement insuffisamment nourrie par les idées ; et surtout, s'étonne que le nazisme n'inspire pas plus de crainte.
Brasillach se dit admirateur des nationalistes, qui même enfermés dans une dictature, parlent au cœur de tous ceux qui « parfois émus, parfois rageurs, songent au passé et au présent de leur pays, et se disent : pourquoi pas nous ? » (R. Brasillach, Notre avant-guerre, p. 236) ; et Drieu de renchérir : le fascisme permettra de rénover un nationalisme et de relancer la patrie « dans le grand battement de la civilisation européenne ». ( Drieu la Rochelle : Notes pour comprendre le siècle, p. 172)
Pour Fabrègues, l'opposition ''fascisme-antifascisme'' est un mythe créé par le communisme, et qui ne repose que sur le danger nazi. Il vante auprès de Lancelot, les contributeurs de sa nouvelle revue ''Civilisation'', comme Gustave Thibon ( vu chez Maritain), Etienne Gilson. Il a l'appui du philosophe Gabriel Marcel.
Lancelot s'imaginait que les socialistes et les radicaux pourraient s'entendre et s'unir pour proposer une troisième voie en décrochage d'une '' collectivisation des moyens de production'' et d'un totalitarisme communiste...
Mais les adhérents du parti radical, représentant une classe moyenne effrayé par le collectivisme, poussent leur parti et Daladier à rompre avec le Front Populaire trop proche des thèses marxistes ; c'est fait en 1938, avec un gouvernement radical et centre droit.
Depuis le mariage d'Emmanuel Berl avec Mlle Mireille (26/10/1397) ; leur appartement au 36 rue de Montpensier reçoit politiques, journalistes et artistes. Un appartement coupé en deux, avec un feux rouge pour être accepté chez Mireille.
Berl comme Lancelot, est un amateur de la ''conversation'' ; sa voix est onctueuse, cultivée, très parisienne. Sa direction de ''Marianne'' lui a donné de la notoriété ; et plusieurs de ses essais, comme '' Mort de la pensée bourgeoise '', ou dix ans plus tard le dernier ''Frère bourgeois mourez-vous? Ding ! Ding! Dong! '' (fev 1938) ont fait réagir...
Chez Berl, Lancelot va y croiser, par exemple, Paul Reynaud, Georges Mandel, Henry Torrès, Georges Bonnet, Paul Morand et Jean Sablon, Maurice Chevalier, Jean Nohain et Sacha Guitry ( les deux témoins du mariage).
Berl reste pacifiste, de grande culture avec une mémoire prodigieuse.
Les deux amis, Berl et Drieu, se sont fâchés, suite à la critique ironique et personnelle de Berl sur ''Rêveuse bourgeoisie'' paru l'année précédente..