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Artemisia au miroir / Agostino Tassi

Publié le 01 décembre 2021 par Angèle Paoli

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Artemisia allo specchio 150

XII

« Il n’est pas encore né, le bourreau qui me confessera ! »

Ainsi ricane le fanfaron ! Lo Smargiasso. Tout le monde sait dans Rome ce dont ce fou vantard est capable. Capable coupable. Ce voyou d’Agostino. Dire que je l’ai aimé, que je l’ai attendu ; qu’après m’avoir violée, il a tout obtenu de moi. Qu’ensemble nous avons ri ; joué ; pleuré. Tant de fois j’ai caressé les boucles de sa chevelure, me suis frottée l’ai cajolé ; tant de fois lui ai murmuré à l’oreille mille tendresses. « Marie-moi, Agostino, marie-moi. » Agostino!!!

Voyou, frère incestueux, amant de sa belle-sœur prise de force sous les yeux mêmes de son époux ! Quelle famille ! Avant qu’il ne s’en prenne à moi ! Il a fait tant et si bien qu’il s’est retrouvé entre quatre murs ! Adieu les échafaudages de la Salle du Consistoire ! Adieu les décors somptueux du « Casino des muses » ! Adieu peinture pinceaux et plaisanteries grasses sur les échafaudages des chantiers du Quirinal ! Voilà qu’après avoir croupi dans les cellules de Corte Savella, tu vas aller moisir dans les cachots de Tor di Nona, mon bel Agostino ! Te souviens-tu de Tor di Nona ? Ces cachots lugubres dont on sort rarement vivant. Ah, tu te vantais de ne pas te faire prendre, de n’avouer jamais tes inepties, tes violences, tes bassesses ! Tu te croyais au-dessus de tout soupçon, de toute impunité. C’était sans compter sur la dénonciation d’Olimpia, ta sœur, 4 février 1611, lettre à la chancellerie !  Tu ne t’attendais pas à tant de courage de la part de ta sœur, la sage petite Olimpia que tu croyais tenir à merci jusqu’à la fin de tes jours !

« Une faute qu’on peut nier n’existe pas ! » C’est ce que tu claironnais du haut de tes impalcature et de tes échelles ! C’est ce dont tu voulais te persuader en le criant haut et fort.  « Le coupable, c’est l’imbécile qui avoue ! Et moi, avant que je me mette à table… »

Tu imaginais que tout cela n’atteindrait pas les oreilles de Paul V Borghèse. Tu croyais que tes engagements d’artiste à son service te serviraient de bouclier de protection ! Tu croyais que tu étais intouchable, inatteignable ! Que la loi n’était pas pour toi ! Tu n’avais pas imaginé un instant qu’Olimpia te dénoncerait à la justice papale. Tu pensais qu’elle garderait pour elle les turpitudes de votre relation. Ad vitam eternam !

Et moi, dans tout cela ? À quoi pouvais-je donc prétendre, avec un père qui me tient jalousement enfermée et un entourage aussi odieux ? Je voulais qu’Orazio me marie. Il est resté sourd à mes prières. Girolamo Modenese, mon prétendant, celui que je m’étais choisi et que je voulais épouser, Orazio l’a fait rosser à coups de bâtons. Pauvre Girolamo ! C’est tout juste s’il n’en a pas eu l’échine brisée. Il est peintre, pourtant, et comme vous tous, il travaille sur les chantiers de Monte Cavallo. Un jeune peintre, c’est vrai, un débutant. Et Orazio n’a rien voulu savoir. Il a coupé court à notre histoire. Il a redoublé de jalousie et de vigilance.

Et toi, Agostino, tu es bien de la même engeance que ton compère Cosimo Quorli, l’un et l’autre persuadés que les femmes sont juste bonnes à être renversées pour votre bon plaisir. Toi comme lui, vous ne cessez de vous vanter de vos exploits. Tout fourrier du pape qu’il est, cet homme me dégoute avec ses insinuations sur ma mère et sur ma naissance, ses œillades insistantes, sa façon de passer la langue sur ses lèvres et de soupeser mes formes du regard, comme si j’étais une vulgaire pouliche prête à être montée ! Et sa lippe goulue ! brrrr ! J’en frémis de mépris autant que d’horreur.

Il me faut désormais supporter votre trio inséparable. Gentileschi/Quorli/Tassi ! Quorli / Gentileschi/Tassi ! Miséricorde ! Que la Madone me vienne en aide ! Et Orazio, le malheureux, que voit-il de tout cela ? Rien. Il ne dit mot. Qui ne dit mot, consent, c’est bien connu ! Voilà qu’il supporte veuleries, injures, sarcasmes. Sans hausser le ton. Il est vrai que du moment qu’il a du travail, Orazio se moque bien du reste. C’est là le drame. Il est enchaîné à Agostino, au-delà de toute raison. Agostino peut bien se vautrer dans le stupre, il est l’ami d’Orazio. Et Orazio se refuse à renoncer à lui. Le perdre, perdre son compère, c’est la fin d’Orazio !

Si Agostino croupit en prison, c’en est fini des chantiers du Quirinal ! Finies les commandes, finis les projets grandioses, finie la célébrité !

Tout faire pour qu’Agostino sorte indemne de Tor di Nona.

Voilà. Orazio a eu gain de cause et Agostino est libre comme l’air !

       À SUIVRE ...

 Agostino Tassi

       

 Agostino Tassi / autoportrait              

     

     


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