Je retourne sous l'eau, descends vers le café Farah
dont il ne reste rien.
Qui sait si ce que je vois, un autre le verrait ?
Je suis dans la mémoire des choses.
Au commencement de tout.
Ce n'est pas moi qui observe le lac, mais lui,
lui qui fixe la surface du monde, ses plantes,
ses arbres fruitiers et les fourmis des sables.
Mon visage raviné.
Il écoute aux portes de nos vies.
Il comprend.
Moi, je ne comprends pas ce qu'il murmure,
mais je sais. Il témoigne.
J'ai écrit des livres, été invité dans différents pays.
Où je me suis surpris à faire le paon, j'ai perdu Leïla et notre
petite fille, et malgré ça, je suis infoutu de décrypter les
paroles du lac.
Triste monde humain.
Je sauve un papillon de la noyade, mes doigts dans
les algues comme d'autres algues et je descends, descends
jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucun bruit sauf celui
de l'eau contre mon cœur, l'eau qui me respire
et me console comme seule le peut une mère.
Nageant, je redeviens l'enfant.
Mahmoud des prairies.
J'entends Mounir hurler sur moi qui suis le vent parmi
les bêtes de son troupeau, et qui les sème sur le sentier.
Je sens le parfum de maman, qui est une force
virevoltante, un vrai buisson ardent, mais dont
Les nerfs aussi sont brûlants et ardents.
Je cueille une pêche près de papa, debout
sur l'échelle, qui cueille des fruits chez notre
autre voisin, Khamssieh.
Vieillir, c'est devenir l'enfant que plus personne ne voit...
Antoine Wauters, Mahmoud ou la montée des eaux, (Roman en vers libres), Éditions Verdier 2021, pp.45,46
© Lorraine Wauters
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