Mon cher Victor,
Ca y est. Mon SRF est terminé. Ton SRF ? Mon Stage en Responsabilité filé. Ah oui, c'est vrai... Pas trop cafardeuse ? Un peu, bien sûr. Mais avec le temps, j'apprends à ne pas trop m'attacher. A me dire que si moi je vogue vers d'autres horizons, mes petits aussi ! Tu en parles comme de tes élèves à toi, c'est bien révélateur...
Révélateur ou pas, hier soir, en me couchant, je m'étais dit :"Surtout, Mirabelle, demain, n'oublie pas d'embrasser les enfants un à un à la sortie, de leur expliquer que tu ne les reverras plus". J'étais certaine d'y penser. Vraiment. Sauf que cela ne s'est pas passé comme ça. A 16 h 30, j'étais tellement dans ma journée, dans le bon déroulement des rituels (on lit une histoire, on distribue les suces et les doudous, puis on va ouvrir aux parents) que je n'ai pas réalisé que c'était la fin de l'année. Pas du tout. Bêtement, mon esprit détraqué m'a soufflé que je les reverrais la semaine prochaine. Mais non.
Du coup, ils sont partis sans mes bisous et moi sans les leurs. Ce n'est que quand j'ai vu arriver des mamans avec des bouquets de fleur (alors qu'il ne restait plus que quatre enfants dans la classe...) que j'ai compris que c'était VRAIMENT la fin. On m'a remerciée pour ma gentillesse et ma patience. J'étais émue. J'ai remercié. Cet instant, bien que sans chichi, me paraissait très solennel. Les petits derniers m'ont fait un bisou. Déjà nostalgique de cette classe, je les regardais, eux, les mômes, bien ancrés dans le présent, me faire juste un coucou (sous l'insistance de maman) et s'en aller en jacassant.
Je suis rentrée chez moi avec mes fleurs, après que la directrice m'ait raccompagnée pour la dernière fois. Ca fait toujours drôle, l'idée de la "dernière fois". J'ai promis d'envoyer de mes nouvelles. De la tenir au courant de mon poste. La portière de la voiture a claqué et je me suis retrouvée à pieds, à deux-cents mètres de ma petite maison, avec un bouquet de fleurs sous chaque bras.
Je me dis que j'ai quand même participé à quelque chose. Que c'est un tout petit peu grâce à moi si ces vingt-cinq loupiots grandissent bien. Oh... Il ne faut pas se leurrer, bien sûr... C'est l'instit' qui a fait les trois quarts du boulot ! Rendons à César ce qui lui appartient ! Oui. Je ne compte pas m'attribuer tous les mérites. J'ai peut être juste un peu contribué à la réussite de cette année, même si j'ai débarqué en janvier, même si je n'étais là que le lundi et que je n'étais " pas la maîtresse mais Mirabelle". Je me dis que peut être, certains se souviendront (je sais, Victor, ils n'ont que trois ans, c'est peu probable...) de la première fois où on leur a lu l'histoire de "Roule-Galette". C'était une maîtresse qu'ils voyaient le jour de la petite souris rouge... Des lunettes rectangulaires... Comment s'appelait-elle déjà ? Ils demanderaient à leurs parents. Et si les parents n'ont pas de mémoire non plus ? Je préfère ne pas envisager cette hypothèse...
Bon, d'accord... Si eux ne se souviendront sans doute pas de moi, moi, je me souviendrai d'eux. J'ai les photos du Carnaval, les photos de la sortie à la ferme. Des tas de minois joufflus, des sourires jusqu'aux oreilles, des têtes de mules, des loulous endormis dans le car. Ces instants, je les ai capturés. Je n'oublierai pas mon premier lundi en responsabilité. L'angoisse au ventre. La découverte de mes élèves. Apprendre les prénoms, cerner les personnalités. S'apprivoiser petit à petit. Et les quitter le lundi 2 juillet en me demandant à quoi ils ressembleront, ces loupiots, dans une vingtaine d'années, quand ils auront mon âge...