André Gide, par Gisèle Freund
Lancelot rencontre André Gide, qui lui propose de l'accompagner et déjeuner chez Lesur; ça ne se refuse pas !
Gide se plaint de l'abandon de la grammaire française : les speakers de la TSF propagent toutes sortes d'incorrections ; l'un n'a t-il pas dit : " en terminer avec.... " ! Il avoue que la raison d'être de l'artiste est d'être en désaccord avec son temps. Il s'était rendu à une répétition d'une pièce de Cocteau ; l'élégant public, avec ses sourires et ses courbettes, l'a fait fuir. Le lendemain, Gide lisait dans les journaux que, arrivé tard et n'ayant pu trouver de place, il s'en était retourné.
Gide commente cette expérience relatée par Hebbel : " Que peut faire de mieux le rat pris au piège ? - C'est de manger le lard. ". Un homme pourrait-il profiter tranquillement de l'appât ; s'il se savait pris dans un piège ?
Il a lu dans le Figaro un article de Abel Hermant, dont il pense beaucoup de bien ; et qui compare nos représentations du ''bourgeois'' ... " J'appellerai bourgeois quiconque pense bassement ", comme Flaubert. Le bourgeois n'admet que la littérature utilitaire : et il ne peut se servir d'une littérature qui ne sert qu'à s'élever...
Lancelot lui reproche de moins publier: " Si les autres écrivaient moins, j'aurais plus de plaisir à écrire ".... Un long silence, puis, Gide, lui dit que depuis la mort de Madeleine ( 17 avril 1938) ; il ne fait que semblant de vivre... " J'ai perdu ce témoin de ma vie qui m'engageait à ne point vivre ''négligemment''... Mais de même que je ne laissais pas son amour incliner dans son sens ma pensée, je ne dois pas à présent laisser peser sur ma pensée, le souvenir de cet amour. " Le dernier acte de la comédie, il doit ''le jouer solitaire'' ; il se sent vieux, et dit n'avoir plus d'autre espoir que d'en sortir... !
Gide lit '' Temps Présent'' ; dans le dernier numéro ; il y avait un article de Stanislas Fumet sur la crucifixion du Seigneur, qu'il nomme le " plus grand forfait de l'histoire "... Mais, se demande Gide : que se serait-il passé si le crime avait été évité... ! Comment nous aurait-il sauvé ? Peux t-on appeler ''forfait'' le geste de ceux qui ont permis la rédemption... ? !
Lancelot interroge Gide sur ''Munich'' : il lui semble que la raison emporte une victoire sur la force. - Et la justice, le bon droit ? - En effet, son ami hollandais Jef Last, pense qu'il ne s'agit que d'une défaite honteuse, et qu'il n'en résultera que de nouvelles revendications de Hitler... Gide doute que l'Allemagne eut cédé.
Gide conforte Lancelot dans son attachement à l'Eglise ; il pense que les événements récents lui permettent de s'exprimer en vérité ; grâce en effet à Maritain, Marcel, Mauriac, Berdiaeff, l'espagnol Bergamin... Lancelot ne connaît pas ce dernier ; alors Gide lui conseille en urgence de lire le discours d'Unamuno ( le philosophe espagnol) du 12 octobre 1936 : " A l'instant, je viens d'entendre un cri mortifère et insensé : "Vive la mort !" Et, moi qui ai passé ma vie à forger des paradoxes, je peux vous dire avec l'autorité d'un expert que ce paradoxe incongru me répugne. " etc ... C'est Bergamin qui lui a fait connaître...
Valery et Jeanne L.Subitement, Gide interroge Lancelot sur la jeune fille qui l'accompagnait, alors qu'ils venaient l'interviewer - villa Montmorency - c'était en ... 1921. - N'était-ce pas Jeanne L. - Oui... - Et bien savez-vous que Valéry s'en est entiché ? Cette dame du Tout-Paris, aujourd'hui, se pressait avec d'autres à ses cours du Collège de France. Je m'inquiète pour lui ; n'a t-il pas soixante-sept ans ? Et elle ... ? - Trente-cinq ans. - Je crois que Giraudoux... - Ah ! Je savais pour Bertrand de Jouvenel...
Gide reprend:- J'adore être reçu chez les Valéry, c'est toujours exquis et charmant. " Je suis à l'aise avec Paul, et son extraordinaire intelligence, depuis que je sais limiter les dégâts de sa conversation. "