- Notre belle ville de Vérone
vous plait ?
- Oui.
- Son histoire vous
subjugue-t-elle ?
- C'est-à-dire ?
- L’histoire qui fait d’elle une
des villes les plus célèbres du monde entier, du moins pour tous les amoureux ?
- Vous parlez de Juliette et
Roméo ?
Il acquiesce.
- Euh ! vous savez moi, les
histoires d’amour qui finissent mal, ce n’est pas ma tasse de thé. La vie est
déjà assez déprimante alors si en plus il faut se tuer pour aimer…
- Pourtant c’est bien ce que vous
aviez l’intention de faire, non ?
Elle sursaute et rougit. Evitant
ses yeux, elle demande
- Comment le savez-vous ?
- J’ai été comme vous, j’ai aimé
et j’ai souffert. Depuis, je suis attiré par les personnes qui ont vécu ce que j’ai
vécu. Une sorte de solidarité entre âmes sensibles.
- Et quand vous avez trouvé
« l’âme sensible » du moment, vous faites quoi ? Vous offrez
votre mouchoir, votre épaule bienveillante ?
- Je lui offre ce qui lui manque,
je l’aide à ne pas faire la même bêtise que j’ai faite, je la sauve.
Elle rit, mais son rire sonne un
peu faux. Elle grimace.
- Vous la sauvez et
comment ?
Il lui prend la main et la pose
sur son front, sur la cicatrice qui lui barre le front.
- Je lui raconte ma vie et ma
mort.
- Votre mort ?
- Oui, comment j’ai été tué par
celle que j’aimais.
- Mais vous n’êtes pas mort
puisque vous me parlez ?
- En êtes-vous sûre ?
Cette conversation qui ne mène à
nulle part commence à l’agacer, ces énigmes aussi.
- Alors dites-moi comment vous
êtes mort, comment elle vous a tué ! Au fait, votre aimée, comment
s’appelait-elle ?
-Juliette.
Elle éclate de rire.
- Et vous, c’est Roméo, c’est
ça ?
- Oui.
- Et votre fantôme erre depuis
des siècles à la recherche d’autres « Juliette » ?
- Si on veut…toutes les
amoureuses se ressemblent, quel que soit leur nom.
- Je ne comprends pas, vous
voulez quoi ?
- Vous !
- Pourquoi ?
- Pour vous aimer.
- Et comment ?
Il s’approche d’elle, ses lèvres
effleurent sa chevelure, puis descendent le long de sa joue. Un frisson la
parcourt, elle semble tout oublier mais un éclair de lucidité la traverse. Ces
italiens, quels dragueurs, prêts à tout pour tomber une femme, mais est-ce si
désagréable. Des bras l’enveloppent, elle renverse sa tête et voit les lèvres
de Roméo s’approcher des siennes, elle ferme les yeux…
- Signorina, Signorina.
Quelqu’un la secoue, un peu
rudement. Elle ouvre les yeux, un vieil homme est penché au-dessus d’elle.
- Ce n’est pas permis de
s’allonger sur la pelouse, vous n’avez-vous pas vu le panneau ? Vous devez
partir ou utiliser les bancs.
Elle regarde autour d’elle, elle
est seule, son Roméo a de nouveau disparu.
- Je m’étais assoupie, désolée.
Et l’homme qui était avec moi ?
- Quel homme, il n’y a que vous.
Cela fait un moment que je vous observe depuis ma fenêtre, il n’y a jamais eu
que vous.
- Je parlais avec quelqu’un,
cette personne était allongée avec moi, vous avez dû la voir ?
- Le soleil tape dur
Mademoiselle, vous devriez faire attention.
Un peu énervée par cette
situation qu’elle ne s’explique pas, elle se met debout et enlève des
brindilles d’herbes de son pantalon. Alors qu’elle se penche pour ramasser son
sac, elle voit une marguerite à la tige coupée qui git à côté. Elle la prend,
l’examine, l’extrémité de la tige est mâchouillée… son rêve était donc
réel ? Elle ne sait pourquoi mais cette constatation, au lieu de
l’inquiéter, lui procure un bonheur fou et c’est d’un pas léger qu’elle quitte
le jardin. Elle sait qu’il va la rejoindre où qu’elle se trouve. Le vieux
monsieur la regarde partir, il enlève sa casquette et se gratte la tête,
songeur.