Aujourd’hui, il ne la voit pas et
il en est triste, elle lui manque, sensation bizarre que cette dépendance toute
fraîche... Cette silhouette, il l’a aperçue un peu par hasard, un matin alors
qu’il promenait son chien dans cette jolie cité de Vicenza où il séjourne pour
se remettre de cette saleté qu’on appelle cancer et qui a failli le tuer. Ce
jour-là, il ne sait pas pourquoi, ses pas l’avaient emmené sur un autre chemin
et il avait pensé « pourquoi ne pas changer la routine ? » Il
avait pris plaisir à regarder les façades des maisons qui se succédaient, le
soleil chauffait ses bras et son crâne dégarni et, un peu en sueur, il avait
trouvé refuge sous un arbre en s’octroyant une petite halte sur le banc disposé
à cet effet. Le balcon était en face, s’offrant à sa vue et à sa curiosité. La
végétation qui montait à l’assaut de la maison en briques camouflait la
décrépitude des murs et leur effritement. Il admirait les colonnes supportant
le toit du balcon quand il distingua une forme se mouvant dans l’ombre. Tout
d’abord, il n’avait aperçu qu’une vague ombre mais progressivement, il avait su
deviner les gestes gracieux des bras qui tenaient
un arrosoir ancien en cuivre mais n’avait pu discerner les traits cachés par un
chapeau charmant à larges bords. L’habillement semblait désuet mais il n’en
était pas sûr. Le lendemain, il était revenu à la même heure et avait assisté
au même rituel. Depuis 10 jours, il ne manquait aucun rendez-vous et cette
simple apparition suffisait à combler sa journée. Sur son banc, il ne bougeait
pas et il ne savait pas si elle l’avait remarqué, elle n’en donnait aucun
signe.
Il avait même rêvé d’elle et il
doit l’avouer, les images qui lui étaient restées n’étaient pas anodines. Il se
demandait si il n’était pas en train de tomber amoureux d’une ombre ?Le rêve ne suffisait pas, il
voulait savoir qui elle était. Il s’installa à son ordinateur et chercha qui
habitait là mais il ne trouva rien. Il alla donc rôder autour de la maison et
profitant de l’opportunité du chien, commença à parler avec les personnes qu’il
croisait dans le coin, à les questionner mais sans résultat. Un jour, il entra
dans le café situé en face, s’accouda au bar et demanda au patron s’il savait
qui habitait cette maison. Le patron, un rondouillard à l’allure débonnaire
comme le sont souvent les rondouillards, le regarda d’un œil perplexe, puis
sans se presser, lui demanda.
- Pourquoi vous voulez
savoir ?
- Euh, par curiosité !
L’homme posa son torchon et vint
s’accouder en face de ce client curieux. Il le fixa dans les yeux.
- La curiosité peut parfois être
malsaine. Vous voulez un conseil, orientez votre curiosité ailleurs.
Il se redressa et sans plus
accorder d’attention à cet inconnu qui posait des questions sans réponses, il
héla un autre client et débuta une conversation anodine sur le temps qu’il
faisait.
Jacques, car tel était son
prénom, paya et sortit. Sa curiosité avait été attisée et il s’enhardit. Il
sonna à la porte de la maison. La porte resta close. Il fit un pas en arrière,
cherchant des ombres derrière les fenêtres, mais rien ne bougeait.
- Vous cherchez quelqu’un ?
demanda une voix
Il se retourna pour se trouver
presque nez à nez avec une veille dame voûtée, au visage plissé comme une
vieille pomme, fichu noir sur des cheveux blancs comme neige. Des yeux lavés
par les ans le scrutaient d’un air bienveillant. Il se sentit en confiance.
- Je cherche à savoir qui habite
cette maison ?
Elle hocha la tête.
- Et pourquoi voulez-vous savoir
qui habite là ?
- J’ai aperçu une silhouette au
balcon et…
Qu’allait-il dire ? Qu’il
était tombé amoureux d’une ombre ? Ridicule, il était ridicule. Alors
qu’il se creusait la tête pour terminer sa phrase en trouvant une suite admissible…
- Et vous êtes tombé
amoureux ?
Il la regarda bouche-bée, comment
avait-elle deviné ?
- Venez !