Lundi 10 janvier
13h : Il n’y a pas si longtemps, j’en étais encore à scruter l’actualité, en quête d’un fait susceptible de m’inspirer un dessin drolatique. Aujourd’hui, j’en vois de moins en moins l’utilité, tant la réalité ressemble à la caricature que l’on peut en faire. Souvenez-vous : quand les Guignols mettaient en scène Monsieur Sylvestre qualifiant de « pays de merde » à peu près tous les pays du monde sauf les Etats-Unis, ou encore Jacques Chirac soupirant « qu’est-ce que je m’emmerde », c’était drôle justement parce qu’à l’époque, on ne pouvait pas imaginer sérieusement les « grands de ce monde » s’exprimer en ces termes pour le moins orduriers. Aujourd’hui, les Etats-Unis ont eu pendant quatre ans un président qui a vraiment utilisé l’expression « pays de merde » et le président français a véritablement employé le verbe « emmerder » : comment voulez-vous être plus caricatural que ça ? Pourrais-je au moins épingler les « petites gens » qui utilisent Internet pour répliquer à Macron sur le même ton ? Même pas : cette attitude trahit une telle médiocrité de pensée et une telle pauvreté d’invention que ça ne vaut pas le coup de s’en moquer… Je me sens un peu las, pas vous ?
Mardi 11 janvier
10h : Il y avait déjà un certain temps que je n’avais plus eu l’occasion de descendre la rue Jean Jaurès à pied pour acheter du matériel ; chemin faisant, je constate que je ne suis pas le seul à braver l’obligation de porter un masque. Mais ce qui m’étonnera toujours, c’est le changement radical d’ambiance dès qu’on passe le quartier de l’Octroi : au-dessus, c’est quasiment le désert, au-dessous, la vie reprend ses droits, comme si la « frontière » de jadis, celle au-delà de laquelle il fallait payer un droit d’entrée sur les marchandises, se recréait dans la tête des gens… C’est comme un « membre fantôme » ! Mais ce n’est pas fait pour m’étonner : les gens continuent bien à respecter l’église et l’armée alors qu’ils n’y sont plus obligés, comme s’ils étaient encore menacés par un sabre et un goupillon invisibles…
14h : Brève entrevue avec un complice pour traiter d’un projet commun. Il me fait remarquer que les forces de l’ordre ont été déployées un peu partout en ville : j’avais cru que c’était lié à la manif des soignants, mais mon camarade m’explique que c’est pour protéger les 54 ministres de la défense et des affaires étrangères européens qui se réunissent aux Capucins jusqu’à jeudi… Cela me rappelle ce que disait Josef Schovanec sur la sécurité des dirigeants : mine de rien, cette mobilisation massive de la police en dit long sur le climat de confiance qui règne entre les gouvernants et leurs peuples. Si les gens n’avaient pas de raisons de se plaindre des décideurs politiques, ces derniers pourraient circuler librement en rue, sans même un garde du corps à leurs côtés, au lieu de se retrancher dans des prisons dorées, fussent-elles ambulantes ! Ces ministres peuvent-ils au moins se sentir en sécurité maximale derrière leurs vitres blindées et leurs gardes armées jusqu’aux dents ? Même pas : même le dispositif de sécurité le plus blindé n’est pas infaillible, et ils ne seront jamais plus en sécurité que s’ils n’avaient pas de raisons d’avoir peur du peuple…
Mercredi 12 janvier
11h : Je m’en doutais depuis longtemps mais j’en suis désormais tout à fait sûr : nous sommes bel et bien gouvernés par des technocrates qui vivent dans les chiffres et n’ont pas la plus petite idée de la façon dont vivent vraiment les gens. Imposer aux salles de spectacle une jauge de 2000 personnes est une idée particulièrement stupide : si Emmanuel Maquereau, Jean Casse-tête et leurs ministres se renseignaient un minimum, ils sauraient qu’en France, il n’y a pas que de gigantesques salles prévues pour accueillir Johnny Hallyday et qu’il y a aussi une multitude de salles beaucoup plus modestes où il est de toute façon impossible de caser 2000 personnes, même en les serrant comme des harengs ! Quand je vais participer à une scène ouverte dans un bistrot de Brest, ou quand je vais encourager mes copains de Putain 2 Renaud dans une petite salle, vous croyez qu’on pourrait faire entrer 2000 spectateurs ? Même dans les rêves les plus fous des patrons des établissements concernés, ce serait impossible à moins d’abattre plusieurs murs et de racheter au moins deux maisons mitoyennes ! Et croyez-moi ou non, c’est dans ces petites salles, où l’on a donc toujours le droit d’être entassés comme on le souhaite, que bat vraiment le cœur de la culture française ! Mais pour le savoir, évidemment, il faut s’intéresser à la culture autrement qu’en assistant à des cocktails mondains et s’intéresser au pays dans lequel on vit autrement qu’en lisant Le Figaro…
18h : Au cours du soir, nouveaux exercices à la gouache : cette fois, l’objectif n’est plus d’obtenir une composition à base d’aplats mais de tirer profit de la plasticité de la gouache pour restituer toutes les nuances de la carnation d’un modèle vivant. C’est plus complexe pour moi qui ai toujours eu un mal de chien à distinguer les zones éclairées des zone obscurcies : je fais rarement de telles nuances quand je colorie mes travaux personnels, à moins de faire des contrastes très violents en vue d’un effet particulier. Quand on me complimente sur l’état de ma palette, je suis très sceptique : pour moi, la palette n’est qu’un outil sur lequel on mélange les peintures pour obtenir des couleurs qu’on ne trouve telles quelles dans le tube, rien de plus, et la peinture qui reste sur la palette n’est que de la salissure, point barre. J’avoue avoir un peu de mal à accepter les compliments que je pense ne pas mériter…
Jeudi 13 janvier
20h : Ma journée a tenu en quatre mots : ménage, courrier, téléphone et peinture. Un jour à peu près sans histoire mais tout de même fatigant, d’autant que je ne peux m’empêcher d’avoir des angoisses que j’espère infondées. Je décide de me coucher tôt, dans l’espoir de me lever à une heure correcte : c’est demain qu’on m’injecte ma troisième dose de vaccin.
Vendredi 14 janvier
9h30 : Je sors, un peu à contrecœur, je dois l’avouer. Au programme : poste, mairie, boulangerie et marché. Il fait un froid de canard : avec un peu de chance, il ne devrait pas y avoir trop de monde au bourg et mes affaires seront vite expédiées. Mais ce que je remarque tout de suite en sortant, c’est un panneau de BMH annonçant la démolition de la baraque que longe la ruelle ouvrant l’accès à mon immeuble et d’où une vielle folle m’avait jeté une boîte de conserve : j’accueille la nouvelle avec soulagement !
10h30 : Comme je l’espérais, les formalités ont été réglées en un temps record ; rentré au bercail, j’entreprends de photographier la peinture que j’ai achevée hier et qui a fini de sécher cette nuit. C’est un peu difficile : j’ai du mal à cadrer le plus droit possible et encore plus à éclairer correctement pour que la photo donne vraiment une idée de ce à quoi ressemble mon « œuvre »… Quand vous verrez la photo d’une toile célèbre, ayez une pensée non seulement pour le peintre mais aussi pour le photographe : lui aussi fait un vrai travail d’artiste !
14h : Mon père vient me chercher en voiture : l’injection doit se faire dans une pharmacie de Guilers. J’avoue que je préfère encore ça à l’hôpital ou au gigantesque centre de vaccination de Penfeld… Chemin faisant, mon père me rapporte qu’il gelait au petit matin et que la chatte n’a pas mis le nez dehors ! L’hiver est là, les climatosceptiques vont encore ricaner…
Samedi 15 janvier
9h30 : Je me lève. J’ai bien une petite douleur à l’endroit où on m’a piqué, mais guère plus qu’après les deux premières injonctions. J’ai aussi quelques frissons, mais avec le froid qu’il doit faire dehors, ce n’est pas étonnant, et je n’ai qu’à régler les radiateurs pour me réchauffer… C’est donc ça, les effets secondaires si terribles ? Alors, une bonne fois pour toutes, les Antivax, sachez QUE JE VOUS EMMERDE ! Et je préfère me faire injecter tous les vaccins du monde plutôt qu’être confiné de nouveau ! Voilà, c’est dit.