Sur le rebord de ma fenêtre, dans mon jardin de poche que d’aucuns nomment “jardinière”, s’est installée une araignée. Elle est arrivée la semaine dernière et, tout de suite, nous avons tissé des liens. Enfin, elle surtout : elle s’est employée à tendre une toile entre le pélargonium blanc à gauche (lequel, du coup, a décidé de déclencher sa seconde floraison) et le mur de droite, autant dire à des kilomètres pour un aussi minuscule animal. Car cette araignée, à son arrivée, était vraiment petite, à peine un cinquième de confetti, vous voyez… Mais bon, à coeur vaillant rien d’impossible.
Toile, donc, entre ombre et soleil matinal, tendue au fil du vent coulis qui rase les murs de ma rue. Toile précieuse de cercles concentriques, finement ouvragée, patiemment rapetassée à chaque assaut d’une de ces mouches bleutées qu’une charogne oubliée sur le trottoir attire depuis trois jours.
Comme vous le voyez, nous avons sympathisé. Désireuse de remplir au mieux ma part de l’osmose, j’arrosai désormais la terre avec prudence, pour ne pas endommager le fragile édifice. Elle, reine incontestée, se chargeait d’occire les aleurodes. Notre relation, cela ne vous aura pas échappé, était basée sur la subsistance. Il s’agissait, pour l’araignée, de se nourrir de chair fraîche et pour moi de continuer à boire du thé à la menthe fraîche, menthe que je dispute âprement aux dites aleurodes.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des jardins possibles lorsque vendredi matin, je découvris avec horreur que ma compagne avait déserté. Vide, la précieuse toile ! Je cherchai mon araignée d’abord avec étonnement, puis avec fébrilité : personne. Elle m’avait quittée. Sans un mot, sans un regard.
Chagrin. Sentiment d’abandon. Mais pourquoi ? POURQUOI ? Elle semblait heureuse, pourtant. Elle avait même pris un peu d’embonpoint, passant du cinquième au quart de confetti… Avait-elle besoin, brusquement, d’un petit régime ? Consternation. Désolation… sauf chez les aleurodes qui, du coup, décidaient de fêter l’événement dignement en invitant des copains à dévorer les feuilles du petit dahlia couleur fuschia.
Le vent mauvais réduisit vite la toile en lambeaux, à l’image de notre belle histoire. Mais ce matin, alors que je jetais un regard terne et désolé sur l’étendue du désastre, quelle ne fut pas ma surprise de trouver, au centre d’une toile refaite à neuf, l’araignée !
Ah, Pomponnette, te revoilà ! Où étais-tu passée ? Où étais-tu allée pour me manquer autant ? Je ne suis pas Raimu, ni femme de boulanger, mais je me demandais bien ce qui s’était passé !
Les aleurodes se terrent sous la menthe et les perce-oreilles ont déserté le dahlia. Le pélargo explose de fleurs blanches et l’araignée, riant au soleil du petit matin, secoue de sa toile la poussière de la nuit.