les femmes sont rares mais les hommes s’en plaignent comme dit le proverbe. et ce mot fumelle dont je croyais qu’il l’avait inventé était pour moi la contraction possible de deux mots pénétrés l’un par l’autre, fumeuse plus femelle égalent fumelle, fumiste plus femelle égalent fumelle, futile plus femelle égalent fumelle, fugace plus femelle égalent fumelle, fugitive plus femelle égalent fumelle. La fumelle est fumeuse et fumiste, futile et fugace, fuyante et fugitive. quoi d’autre, combien de mots pour désigner ce sexe, créateur ovulant, femelle fécondable, pondeuse ou allaitante, lapine, cochonne vache ou poule.
poule rimant avec goule car il y avait les poques mais aussi la goule, sorte de déformation de la gueule, de la face du visage, gueule de poule. toi mère de ma mère, tu disais qu’il fallait qu’on arrête de s’envoyer des coups sur la goule ou, plus gentiment, qu’il ne fallait pas se casser la margoulette. aujourd’hui je cherche une autre signification de ce mot – goule- que celle d’une face animale. et j’entends un sens que gautier utilisa dans son fracasse, puis-je lire, où la goule de cimetière, sorte de vampire femelle, aime à se repaître de chair morte, la chair des cadavres des cimetières. drôle de coïncidence pour celle qui accompagnait les morts jusqu’au fond de la terre, même si je n’ai jamais pensé qu’elle pourrait se nourrir des restes de ceux qu’elle conduisait au-delà d’elle-même, au-delà du vivant, la couperose de ses joues à lui, le père de ma mère, fleur de cuivre parfumant ses joues de paysan au grand air, pommettes fouettées par le dehors où il se tenait tout le jour, visage marbré par le soleil comme les reflets ondulants de la lumière d’été qui passe à travers le feuillage d’un arbre et se pose ça et là sur un mur ou une pierre en négatif ou en creux des branches traversées. sa couperose comme les traces du passage des orties sur la peau, du passage du temps sur le corps. revenir au corps, à ton corps couperosé.
quitter les mots que tu utilisais si peu, personnage taiseux de mon enfance, murmureux et profond, et qui me donnait confiance. ses mots à lui étaient toujours amortis par la ouate du silence environnant comme la ouenne qu’on utilisait dans le temps pour isoler les planchers des maisons. la ouenne ce mélange fibreux de plantes et de céréales, de l’orge qui vous tombe sur la tête quand vous faites tomber les plafonds, de l’orge qui vous pique les bras quand ils sont nus et tendres. c’est la ouenne comme une ouate qui vous recouvre et vous enveloppe, la ouenne qui vole au vent et qui vous accroche les yeux, vous les mouille et vous les ferme finalement comme les tiens, mère de ma mère – marie-louise-, que tu as fermés à jamais.
je t’ai contemplée ainsi gisante, fascinée par cette image concrète et soudain bien réelle de la mort.
Kristell Loquet, L’Aumaille, Dessins de Daniel Dezeuze, L’Atelier contemporain, François-Marie Deyrolle Éditeur, 2022, pp.19, 20
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KRISTELL LOQUET