FESTIVAL DE LOCARNO L’hommage au grand réalisateur italien marquera la 61e édition, qui s’ouvre aujourd’hui. Rétrospective de l’oeuvre d’un homme-orchestre, polémiste et poète. Qui dit «je » au nom de tous…
Nanni Moretti passera le cap de ses 55 ans le 19 août prochain, trois jours après la clôture du Festival de Locarno, qui l’aura honoré assez naturellement. L’ « esprit de Locarno » se retrouve en effet dans l’acuité de sa perception du monde actuel, l’originalité constamment inventive de ses films, à la fois engagés et non dogmatiques, mêlant vices publics et vie privée, ou vice versa… Tant par sa façon de travailler, en équipes restreintes et sur budgets modestes, que par son implication personnelle aux titres multiples de scénariste et de réalisateur, de producteur et d’acteur (on se rappelle sa prestation dans le mémorable Padre padrone des frères Taviani, et « son » dernier film à découvrir, Chaos Calmo d’Antonello Grimaldi, le voit co-signer le scénario et tenir le rôle principal) ), et plus encore par son implication très personnelle dans ses films, Nanni Moretti fait figure de franc-tireur dont la liberté de mouvement et la poésie personnelle fascinent plus d’un jeune réalisateur, comme un Alain Cavalier ou un Jean-Luc Godard, dans un rapport plus ouvert avec le public. Le meilleur test en sera, sans doute, la projection sur la Piazza Grande (le 13 août) de cette merveille que représente Palombella rossa (1989), entre autres étapes marquantes, de Je suis un autarcique (1976), son premier long métrage,à La chambre du fils (palme d’or à Cannes en 2001), en passant par le non moins remarquable Journal intime (1994), autre illustration magistrale de cette façon unique, chez Moretti, de passer de son drame personnel (la lutte contre le cancer à cette époque, ou le désarroi politique) à la condition de tous.
« Je ne veux plus hurler contre les autres, je ne suis pas résigné, j'ai compris qu'ils sont comme ils décident d'être et non pas comme je désire qu'ils soient », déclarait déjà Moretti à l’époque du premier épisode du feuilleton Berlusconi, et ces propos correspondent mieux encore à l’Italie actuelle, où Le caïman (2006), évocation pourtant mordante des années de la «Casta», la nouvelle société dirigeant pourrie de privilèges, n’a pas fait de grande vagues.
Mais l’impact direct, au sens du militantisme à courte vue, est-il un critère pour juger de cette œuvre artistiquement et existentiellement si engagée ? «Je suis de gauche et ce qui m'intéresse, c'est d'ironiser sur la gauche, de la critiquer, de la stigmatiser», déclarait-t-il précisément, et son recours à la comédie, comme chez Fellini ou Dino Risi, n’a jamais été un recul par rapport à ses idées. « Je déteste les films politiques! Je les détestais déjà dans les années 70! C’est toujours le moment de réaliser une comédie!» s’exclame l’un des personnages du Caïman, film implicitement politique au demeurant. L’ironie de Nanni Moretti est bien là, qui sait si bien faire rimer comédie avec Italie…
A la rétrospective des films réalisés par Nanni Moretti ou de ceux auxquels il a participés, s’ajouteront la présentation d’une dizaine de documents-entretiens filmés sur son travail, dont le long métrage que lui a consacré André S. Labarthe, la publication d’un livre en coédition avec les Cahiers du Cinéma, et une exposition (au Museo Casorella) documentant le travail du réalisateur, lequel sera présent lui-même dès le 14 août.