Le 18 juillet, Lancelot croise à l'hôtel du Parc, Jean Luchaire qui reçoit un ordre de mission de la part de Laval : sonder les intentions de l'occupant et renseigner le gouvernement français. Luchaire se voit faire le lien entre Laval et Abetz qu'il connaît bien et depuis longtemps. Son idée est de défendre l'intégrité du territoire français sur la base d'une collaboration franco-allemande ; et isoler la Grande-Bretagne.
Jean Luchaire (au milieu)- Franchement, vous encouragez le gouvernement de Vichy à suivre la voie du national-socialisme ?
- Les Allemands attendent de notre part, « un "Esprit nouveau" » Ils ne se contenteront pas de « l'application d'une politique de coopération », ils voudraient voir la France « dans un état psychologique de national-socialisme »..
Pratiquement, à Paris, Luchaire va se mettre au service des exigences allemandes en matière de presse, jusqu'à s'il le faut, appliquer la politique antisémite hitlérienne en France.
Jean Luchaire, est nommé rédacteur en chef du Matin au retour du journal en zone occupée, le 17 juin 1940 ; et en novembre 40, Luchaire fonde le journal collaborationniste Les Nouveaux Temps. Entre temps il prend la tête le 25 septembre 1940, du Groupement corporatif de la presse parisienne … I
13 août : Interdiction légale de la franc-maçonnerie.
Léon BrillouinLancelot eut la chance d'être invité à un concert organisé par Léon Brilloin et sa femme Stepha ( juive polonaise). Léon Brillouin (1889-1969) est sous-secrétaire d'Etat à la Radiodiffusion nationale depuis sa nomination par Daladier en juillet 1939, et aussi un savant, physicien au Collège de France, spécialiste de la propagation des ondes et de mécanique quantique. Étaient présents de nombreux diplomates, pour écouter en particulier Henri Sczering au violon jouer une sonate de César Frank, puis des morceaux de Brahms et de Bartok. Lancelot revient en ville, dans la Vivaquatre officielle des Brilloin. Dans la conversation, on se félicite – au contraire de Paris - de ne voir à Vichy aucun drapeau nazi, et de ce que les allemands restent discrets.
Léon Brillouin invite à Lancelot, à venir le voir à l'hôtel du Parc pour parler radio...
Le lendemain Lancelot se rend devant le siège du nouveau régime. La personne à l'accueil après vérification de l'identité, lui indique l'ascenseur où l'attend un liftier, le N° de la chambre et de l'étage ( 4ème). Accueilli par Stepha, la femme de Léon, avec du ''vrai'' café, Brillouin rassure Lancelot, ils peuvent parler, ils sont en sécurité....
Brillouin a fait détruire plusieurs émetteurs lors de l'avancée des allemands. La Radiodiffusion nationale dut cesser provisoirement d'émettre sur le territoire le 25 juin 1940, suite à la convention d'armistice. Elle fonctionne à nouveau en zone libre depuis le 6 juillet.
On a aménagé des studios de fortune, notamment au Grand Casino, et on travaille avec des radios privées ( soumise au contrôle de l'Etat). Il s'agit de promouvoir l'idéologie du régime de Vichy, et l'image du Maréchal Pétain. Il faut rivaliser avec Radio-Paris ( contrôlé par l'occupant allemand) , et surtout avec la BBC à partir de septembre; et sa ritournelle : « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ».
On dit qu'il y aurait 5 millions de postes de TSF en France. On y a pu suivre la bataille de France, jusqu'à la déclaration de Pétain : « C’est le cœur serré que je vous dis qu’il faut cesser le combat … ». Combien de français ont pleuré ?
A présent, il est difficile d'acheter un poste dans le commerce ; mais on peut le construire...
Brillouin prévoit l'importance que prendra l'écoute de Radio-Londres, pour faire connaître des informations censurées, soutenir les auditeurs dans la ''victoire finale'' ( on ne perd pas espoir...), et dénoncer la propagande allemande. Il serait nécessaire aussi d'équiper le plus possible les français d'appareils de réception clandestins ; peut-être même s'initier aux messages codés... Ces paroles exaltent chez Lancelot des idées de projets qu'il ne peut se permettre de partager.
Hôtel des AmbassadeursA Vichy, le spectacle se trouve dans les hôtels, les cafés. Rien de plus réjouissant que de se retrouver à quelques uns autour d'une table. A l'hôtel des Ambassadeurs dans un décor de serre , on est plongé au coeur du monde, chacun s'interpellant dans différentes langues, d'un coin territoire à un autre ; les hispanisants sont les plus bruyants, les monarchies hongroise et roumaine se toisent par l’intermédiaire du comte de Khuen Hedervary, ministre de Hongrie et pour la Roumanie, Dinn Hiott, ambassadeur ; soutenus par leur femme, la belle comtesse Edervary pour le premier et sa maîtresse, pour l'autre. Les diplomates sont les personnages les plus enviés, ici, ils ont le privilège de la ''valise diplomatique'' qui permet aux messages et marchandises de passer outre les règles drastiques imposées par la guerre et les frontières.
Wanda VulliezLancelot a certainement remarqué Wanda Vulliez, correspondante d’une agence de presse suisse, jolie femme très entourée dans le milieu diplomatique qu'elle fréquentait.... Ou, peut-être aussi, une petite femme "mince", au visage "ovale" et au nez "légèrement retroussé". Elle tente – avec son amant le colonel Czerniawski - de mettre en place un réseau de renseignements polonais, bientôt baptisé Interallié, en liaison avec l'IS. En contact avec des responsables français du 2e bureau, elle apprend ses rudiments du métier d'espionne.
Le soir, vêtue d'un manteau de fourrure sombre et d'un chapeau rouge, elle a pour habitude de se lover dans un fauteuil du bar de l'hôtel des Ambassadeurs, où des journalistes, raconte-t-elle, la surnomment "le chat noir", puis ''La Chatte''.
Wanda VulliezIl y a aussi, l'élégant hôtel Majestic - où loge la Maréchale, et quelques hauts fonctionnaires - il reçoit autant les allemands de passage, que les invités de la presse américaine qui, un verre de whisky à la main, tranchent par leurs mœurs plus franches.
Les vichyssois ont leur souverain : ils assistent chaque dimanche matin à la relève de la garde devant l’hôtel du Parc, dans l’espoir d’apercevoir le « sauveur de la France ». Quand le Maréchal apparaît, de la rumeur monte des vivats, Pétain salue et embrasse les enfants qui lui tendent des bouquets de fleurs.
En cette fin d'après-midi de Juillet 1940, Lancelot profite de ces instants au Cintra, assis pour observer les personnages habituels, comme le ministre de Roumanie, Dinn Hiott, toujours entouré de jolies femmes ; et non loin de là le hongrois Kuhn Edervary, l'homme au monocle. Et, quelle surprise de voir entrer, et chercher du regard une place : Drieu la Rochelle et Emmanuel Berl.
Les revoir tous les deux, après s'être fâchés et insultés par livres interposés, ramène Lancelot une dizaine d'années en arrière, quand avec Elaine, Drieu leur avait présenté Berl. C'était aussi l'époque où Elaine pilotait Victoria Ocampo dans certains cercles littéraires, et où Drieu avait rencontré cette femme argentine qui fut sans-doute la seule femme qu'il ait aimée et admirée...
Drieu la Rochelle - 1929Lancelot leur fait signe, et indique près de lui deux fauteuils qui feront leur affaire. Ils viennent tous deux de marcher et discuter deux heures sur les bords de l'Allier. Une discussion cordiale, même s'ils reconnaissent leur désaccord quant à la suite des événements. Berl, compte sur les États-Unis avec la Grande-Bretagne pour résister, les aider, et à terme renvoyer les allemands chez eux. Drieu voit bientôt les nazis à Londres, puis dans deux mois à Moscou, et pourquoi pas à New-York... !
Emmanuel Berl veut rejoindre, à présent sa femme Mireille à Cannes. Il pense abandonner son projet d'une ''Histoire de l'Europe'', faute de documentation. Que faire alors ? - Jouer à la belote, en attendant les jours meilleurs.
Drieu, motivé par sa revanche à prendre, contre un milieu littéraire qui l'a ostracisé, dit-il, veut rencontrer l'occupant pour lui exprimer son admiration et mettre à son service, la culture française...