Nathalie Boniface-Mercier / L'Engrangeoir

<<Poésie d'un jour

Ocre. Les lichens, robustes labourages sur la pierre. Avec le parfum
d'un vieil heurtoir de bronze après la pluie, d'un clou rouillé
qu'on exhume de terre ou qu'on arrache d'une poutre aux
veinures trop sèches.

Ocre. Sous les pas, sous les yeux, la plaine. L'air est suspendu comme
le doigt du pianiste sur la dernière note. Trop pleine la plaine
inachevée. Trop pleine d'images à contenir pour le pèlerin des mots.

La page la plage plaine d'attente

L'engrangeoir à images craquelle de partout
Libérer par les mots la vision des brumes
Des jardins à remonter le temps
Des places de village dans leur sieste de province
Des vergers boursouflés d'étés vieux de cent ans
De la peau nacrée d'un lapin écorché

Blanc. Lumineuse torpeur d'un midi d'été. La rue d'un village jette
son éclat trop cru dans la fenêtre où pend un rideau de crochet jauni.
Espagnolette ronde comme un camée. Mastic écaillé. Dans un parfum
de papier journal tiède, de coton âcre et d'encaustique, sieste de l'aïeul
revenu des Dardanelles il y a bien longtemps.

Blanc. Promenade de l'aïeul et de son arrière-petite-fille. Un vieillard.
Une enfant. Ombelles de carottes sauvages. Talus de marguerites, craie
du chemin des champs. Chaussures de dandy éculées, pas menés en
fox-trot et badinage conté depuis longtemps oublié.

Valse d'étés d'ici et d'ailleurs. Au village des grands-parents. Soleil au
zénith et porte d'une maison aux volets verts ouverte sur la rue
poussiéreuse, une maison roulée dans la touffeur. Carillon d'un jeu
radiodiffusé et dernière gambade de l'enfant devant le seuil.

Les rondelles de tomate à l'ail dans l'assiette en Arcopal ambre
Les bols de faïence côtelée grenat et blanche
Le verre de bière jaune citrine
Les miaulements du chat indigent
L'essuie-mains en éponge à carreaux bleus, ocre, rouge et verts
Le baromètre au beau fixe
Le calendrier VPM avec ces trois lettres qui représentent une vache [...]

Heurtevent
Perce-neige à foison frêles corolles dans le coulis d'air danse de bayadères
Heurte bise
Le vent dans les carolines*, grands bougeoirs de cuivre en automne
en hiver vieille garde famélique d'un roi des marais, tisse à pas secrets
les récits de famille.

Nathalie Boniface-Mercier, L'Engrangeoir, Illustration de couverture, Héloïse Fabre, Éditions La ChƟvƏtte imprévue, Poésie 2021, pp. 11,12,13

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