Magazine Talents

Les gouffres des Orfosses

Publié le 11 mars 2022 par Les Alluvions.com
"Le Rouge courait contre sa mère, si près d'elle qu'il la touchait encore. Autour d'eux, toutes les bêtes ne formaient qu'une seule masse, emportée dans un élan houleux. Elles passaient à travers la futaie, entre les hêtres aux troncs gris. C'était une futaie de hautes cimes qui s'appelait les Orfosses Mouillées."

Maurice Genevoix, La Dernière Harde, Garnier-Flammrion, 1988, p. 48.

Maurice Genevoix l'écrit lui-même dans Trente mille jours : " Nous sommes encore dans une forêt française, mais d'où ? Sillé, Othe ou Tronçais aussi bien qu'Orléans. Une forêt ; et déjà la forêt, une harde dans la forêt..." De fait, cette forêt est insituable, même si la topographie en est très simple, comme le relève Mireille Sacotte, avec ce centre qui est les Orfosses Mouillées, lieu de naissance et de mort, autour duquel s'enroulent les cercles concentriques de bois et de taillis qui débouchent sur la plaine des Hommes. Chaque parcelle, chaque accident de terrain porte un nom et une histoire : l'Allée des Mardelles témoigne de la présence de ces petites mares au parfum de tourbières, la Bouverie désigne l'étable des boeufs, Cropechat est un lieu-dit du Loiret, de même que les Cercoeurs, je ne prends que ces quelques exemples, je n'ai pas fait de recherche systématique mais il me semble évident que chacun de ces noms a été glané par Genevoix au cours de ses promenades, s'est imposé à lui pour dessiner la carte mythique de cette forêt de légende sans légende. Car aucune histoire humaine n'est racontée là, aucun conte fabuleux issu de l'imagination des hommes n'y prend place, tout n'est vu qu'à travers la vision des animaux et parfois de celui qui les connaît le plus intimement, La Futaie, le piqueux comme par hasard désigné par le seul nom du territoire qu'il arpente (on ignorera toujours ses nom et prénom). Oh, il faudrait toute une étude sur cette microtoponymie du roman, qui lui donne à la fois son ancrage dans le réel et sa poésie insondable, et je ne fais que l'esquisser, ne voulant revenir que sur le centre, les Orfosses Mouillées, dont on retrouve la trace dans la forêt d'Orléans, avec ses gouffres décrits en 1907 par Paul Combes.

Les gouffres des Orfosses


" Une première série d'excursions nous faisait connaître, en mars 1907, les gouffres de la forêt d'Orléans situés dans les cantons de Mézières et des Diableaux. [...] Le groupe I dit "les Orfosses-Mouillées" est le plus important et celui qui renferme les plus grands gouffres; ces derniers sont accompagnés de marécages tourbeux et de terrains mouvants dangereux à la marche. Ils sont une quinzaine, reliés entre eux par des couloirs profonds mais à ciel ouvert, puis par des couloirs souterrains."

Genevoix ne fait pourtant pas allusion aux gouffres, mais ne sont-ils pas inscrits dans le nom même des Orfosses, avec ces fosses (latin fossa, de fodere, creuser), qui sont cavités ou trous creusés pour inhumer un mort (d'où le fossoyeur) ? Et si l'écrivain a choisi ce nom entre mille, n'est-ce pas aussi parce que y sont présents ensemble la mort et la vie, les fosses et l'or du jour qui lève ? Cette aube qui signe le nom de Fernand d'Aubel, le personnage principal d' Un jour (Seuil, 1976), un des derniers romans de Genevoix, et en somme son porte-parole, mettant en avant nécessité et vertu de la contemplation : "  Il y avait là, appuyés tout du long au revers de la maison, un petit pré naturel, chevelu, exubérant, et une mare où nageaient quelques canes dans un brasillement de soleil. Tout or et bleu, d'un bleu limpide et profond, plus intense que le bleu du ciel à cause du reflet d'un arbre.  "

Les gouffres des Orfosses

Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Les Alluvions.com 1432 partages Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine